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vendredi 23 septembre 2011

Le jeu vidéo et l’intermedia : A la frontière de l’art ? (partie 2)

Peintures ludiques

  On pourrait craindre alors que ce décalage soit persistant, puisque la technique ne cessera jamais d’évoluer et risque d’être toujours aussi coûteuse, il paraît difficile que ce décalage soit, un jour, comblé . Mais cela serait omettre que la technique employée par les jeux à un moment donné ou un autre sera telle, qu'il sera sûrement possible qu’elle permette à des créateurs de réaliser des jeux dépassant nos rêves les plus fous au point que l’art fera, à coup sûr, partie intégrante de la technique. Si cette ère n’est pas encore pour tout de suite, alors la grande majorité des jeux les plus originaux et ambitieux risquent bien de se trouver encore pendant quelques années dans les techniques antérieures. Pourtant comme l’expliquait Higgings, la plupart des médias se rattachant à des techniques trop obsolètes, ne peuvent faire partie de l’intermedia. Et quand bien même que des jeux comme deadly premonition ou Minecraft soient de véritables petits chef d’oeuvres d’inventivités et d’originalités, il restera toujours ce sentiment amer à savoir de se demander ce qu’aurait pu donner une telle inventivité et originalité accompagnée d’une technique de pointe. 


Cela veut-il dire pour autant que ces jeux indépendants s’émancipant des technologies actuelles et n’appartenant pas à l’intermedia,  ne pourraient pas d’une certaine façon être abouti artistiquement ? Pour répondre à cette question, essayons de regarder du côté d’autres Arts tels que la peinture par exemple.


 La peinture, quel que soit son style ou sa technique, est un art reconnu de tous.
                                                          
  Tout comme avec les Happenings, il est très intéressant de comparer la peinture et les jeux vidéo qui présentent plus de similitudes que l’on pourrait ne le penser. La peinture tout comme le jeu vidéo crée d’abord de l’interaction. Un individu face à un tableau va automatiquement établir une interaction plus ou moins inconsciente avec l'objet. Avant de comprendre ce qu’il est en train de regarder, le spectateur établit déjà une connexion avec le tableau. Celle-ci va généralement susciter des images, des souvenirs, des histoires ou encore une multitude d'émotion. En prenant en considération et en assemblant tous ces éléments, le spectateur a alors le pouvoir de rentrer dans une situation de jeu d’assemblage, se créant ainsi sa propre histoire ; cela avant même d’avoir lu l’écriteau sous le tableau donnant des informations clefs pour mieux comprendre l’œuvre. Les peintures et les jeux nous racontent des histoires, des expériences et créent donc inlassablement de l’interaction avec celle ou celui qui les contemple. 


Outre leur ludicité, ce que partagent comme autre point commun la peinture et les jeux vidéo, n’est autre que leurs technicités. La peinture depuis l’ère préhistorique n’a cessé d’évoluer au fil des années en multipliant ses techniques et donnant ainsi naissance à une infinité de styles aussi divers que l’impressionnisme, l’expressionnisme, le réalisme, le cubisme ou encore le contemporain pour n’en citer que quelques uns. Tous ces mouvements utilisent des techniques et un style artistique qui leur sont propres. Il est inconcevable de prétendre qu’un style soit plus « artistique » qu’un autre en comparant leur technique. Pourtant, l’amateur de peinture aura souvent plus tendance à être impressionné par une peinture photoréaliste de Roberto Bernardi plutôt que par une peinture cubique ou abstraite de Pablo Picasso et aura plus souvent tendance à la dénigrer, tout simplement parce qu’il ne la comprendra pas mais surtout parce qu’il il n’y verra pas de prouesse technique. Il n’en reste pas moins que derrière chaque style se cache un travail, une réflexion, un message, un talent qui lui est propre et qui lui vaut pleinement son originalité artistique.



Les styles et les techniques utilisés dans un jeu peuvent être très variés.


Il en va ainsi de même pour les jeux vidéo, depuis leur création, la technique et les styles n’ont cessé d’évoluer. Passant ainsi de la 2D à la 3D, puis parcourant le graphisme photoréaliste ou encore le Cell Shading. Là encore, même si l’évolution de la technique a permis l’apparition de nouveaux styles graphiques, il n’en reste pas moins que chacun de ces styles reste et resteront inexorablement originaux et artistiques. Certains jeux en 2D seront toujours là pour nous rappeler qu’ils sont capables de nous faire vivre des expériences inoubliables, parfois même mieux que la plupart des jeux en 3D actuels aux graphismes presque photo-réalistes et dont nous oublierons le nom quelques mois plus tard. De même que la première peinture préhistorique peinte sur la paroi d’une caverne, elle restera à jamais une technique à part entière et qui plus est artistique, malgré les milliers d’années qui la séparent des peintures les plus contemporaines. Quel que soit le style de l’œuvre, ce qui importe ce sont les messages, les histoires, les expériences qui se cachent derrière chaque image et qu’a voulu transmettre son auteur.

Au bout de cette comparaison avec la peinture il apparaît alors clairement, que les jeux n’appartenant pas à l’intermedia et ce, quel que soit leurs styles graphiques ou leurs techniques, font incontestablement preuve pour certains d’ambitions artistiques. Toutefois, la comparaison entre ces deux médiums va vite trouver ses limites et justement dans leurs techniques, qui, bien qu’assez similaires dans leurs formes, restent en revanche très différentes dans leurs fonds. 

Technologie quand tu nous tiens !

  L’art de créer un jeu vidéo repose essentiellement sur une technologie informatique. C’est peut-être bien l’art le plus dépendant de sa technique et le processus de création d’un jeu vidéo est une grande histoire de compromis entre la technique et les ambitions artistiques. De tous les arts, c’est sûrement celui qui exige l’une des plus grandes coordinations entre l’homme, la technique et les idées. La technologie informatique est au cœur du jeu vidéo et cette technologie est complexe, qui de surcroît évolue tellement rapidement qu’il est parfois difficile pour les créateurs de concilier l’art et la technique. Par conséquent, le jeu vidéo n’a guère le temps de se reposer, contrairement à d’autres arts tels que la peinture, sur ses techniques alors que d’autres apparaissent quelques mois, quelques semaines voire quelques jours plus tard. Pourtant, ce média ne peut s’accomplir artistiquement sans ses techniques les plus actuelles, car sans elles il ne pourra jamais dépasser le cadre même de son propre médium pour atteindre l’intermedia.


Les oeuvres de Marcel Duchamp. Ce dernier
n'imposait aucune limite à son art.
C’est pourtant bien dans l’intermedia que se trouve le meilleur de la production artistique. Dans statement of inermedia, Dick Higgings prend pour exemple le travail de Marcel Duchamp qu’il qualifie d’art « entre la sculpture et autre chose ». Il compare ensuite son travail à celui de Picasso qui selon lui s’essouffle parce qu’utilisant et se reposant sur des techniques qui ne résonne plus dans l’ère de notre temps ; « Picasso est aisément rang dans l’ornement peint », ajoute-t-il. Cette dernière constatation est tout aussi applicable au domaine du jeu vidéo et à fortiori parce que ce médium ne peut se reposer que peu de temps sur sa technique qui évolue très rapidement. S’il est évident que Picasso a pu grâce à son style et ses techniques révolutionner son art et le faire évoluer pendant des années après, il est tout aussi évident que ses oeuvres ne résonnent plus de la même manière à notre ère, qu’à celui d’il ya une vingtaine d’années. Similairement, un jeu vidéo dont la technique est dépassée, affichant des graphismes cubiques ou usant de la 2D, certes possédant assurément des qualités artistiques incontestables, n’aura quand bien même plus le même impact ludico-technique auprès du joueur contemporain qu’il y a une dizaine d’années, au mieux il éveillera une certaine nostalgie. Le jeu vidéo n’a pas le temps comme la peinture de pouvoir se reposer quelques années sur une technologie antérieure devenue très vite « obsolète ».

En outre, il ne faut pas oublier que l’homme attend toujours de la technologie qu’elle l’impressionne et surtout qu’elle évolue. Allez proposer à un développeur indépendant de créer le jeu de ses rêves tout en lui expliquant qu’il bénéficiera des meilleures technologies actuelles, de la meilleure équipe de développement et de fonds illimités. Bien sûr il n’hésitera pas une seconde de plus avant de se lancer dans l’aventure. Il est très probable que ce dernier avec un peu de talent et d’imagination arrivera à créer le jeu de ses rêves et qu’il n’utilisera surement pas des techniques trop antérieures. Après cela demandez-lui de retourner travailler seul avec ses propres moyens techniques et financiers, il est presque aussi probable qu’il regrettera amèrement ce temps où il aura pu donner libre cours à son imagination grâce à une technique lui ayant permis de faire un jeu comme il l’avait exactement imaginé. 
Certes, penser qu’un créateur puisse bénéficier de tous ces avantages techniques et financiers est utopique. De plus, s’il n’existe sûrement pas encore la technologie nécessaire pour qu’un créateur puisse véritablement créer le jeu de ses rêves, cela ne l’empêchera pas pour autant de créer avec les moyens dont il dispose. Mais le compromis entre l’art et la technique est bien là, un créateur, à moins de vouloir retrouver une nostalgie graphique des anciens jeux, n’ira probablement pas développer un jeu avec une technologie dépassée s’il a les moyens techniques et financiers de pouvoir exprimer tout son art autrement.

Le jeu vidéo ne peut donc se reposer uniquement sur ces techniques antérieures pour espérer en tirer par émancipation d’une technologie — complexe et coûteuse, mais indispensable à son évolution — le meilleur de sa production artistique. Le jeu vidéo ne peut que s’épanouir artistiquement dans ce parfait alliage qu’est celui de l’art et de la technique moderne. Sans cela il ne pourra pas dépasser ses propres frontières pour aller toucher d’autres médias et s’accomplir artistiquement.

N’existe-t-il alors aujourd’hui encore aucun jeu usant de techniques de pointes et capable de prouesse artistique ? N’existe-t-il aucun jeu appartenant à l’intermédia ? Il est évident que non. Il existe depuis toujours quelques jeux ayant réussi à relever le défi d’allier brillamment art et technique moderne. Certains jeux ont réussi à tirer le meilleur de ce que leur permettait leur technologie pour servir leurs ambitions artistiques et comptent parmi ces rares jeux ayant su tirer parti du meilleur de leur technique aussi moderne soit-elle.

Le véritable problème pour les créateurs de jeu vidéo aujourd’hui n’est pas celui de choisir la technologie la plus performante pour créer une bonne œuvre, loin de là, mais de choisir la technologie qui lui est la plus adéquate, mais aussi la plus rentable aussi bien artistiquement qu’économiquement parlant et qui lui permettra de créer tout en exprimant au mieux ses idées. 
La technologie ragdol utilisée dans ICO renforce
incontestablement l'expérience de jeu.

De l'art ou du cochon ?

  Un peintre choisira le bon pinceau et les bonnes couleurs avant de commencer à peindre. Le sculpteur, le bon marteau et le bon burin avant de sculpter. Le créateur de jeu vidéo devra lui aussi choisir le bon outil pour Créer. La technologie employée devra être rigoureusement choisie car c’est d’elle que découlera une bonne partie de la réussite artistique et commercial d’une œuvre ou non. 
Si la technologie est si nécessaire à ce média c’est justement parce que l’œuvre en devenir va reposer littéralement sur celle-ci. Sans la technologie informatique, l’œuvre viédoludique ne peut exister et les idées du créateur prendre vie. C’est pourquoi il est primordial que cette technologie évolue de façon à permettre au créateur de réaliser des oeuvres toujours plus grandes, toujours plus complexes et résolument plus artistiques.

Néanmoins il est important de ne pas écarter le fait qu’une technologie aussi performante soit-elle, peut s’avérer être totalement inutile si elle n’est pas au service de la créativité.

Beaucoup trop de jeux aujourd’hui se dotent de techniques de pointes mais au détriment d’un contenu créatif bien trop souvent peu présent voire inexistant. Le producteur soucieux de vendre son jeu va souvent exiger l’emploie d’une technologie dernier crie mais dont le cout en temps de maîtrise et en argent, empiétera inéluctablement sur la partie artistique du jeu. A quoi bon servirait le pinceau le plus chère et soi-disant le plus efficace du marché, si le peintre l’utilisant juge qu’il lui est peu nécessaire et lui préfère un pinceau bien plus approprié pour son approche artistique ? 

Un certains nombres de producteurs et/ou de créateurs de jeux ne prenant pas en compte le fait du décalage permanent entre l’art et la technique, font donc souvent le choix de vouloir s’accaparer une technologie trop récente dont ils ne maîtrisent parfois pas les coûts et dont l’utilisation s'avère être inadéquate pour créer leur jeu. Il s’agit au contraire de trouver le parfait équilibre entre l’art et la technique, c’est à dire que l’un doit répondre à l’autre, ils ne doivent pas cohabiter mais au contraire ne faire plus qu’un et pour cela, il faut d’abord choisir la bonne technologie.

Le game designer Jesse Schell dans son livre, l’Art du game design, explique qu’une technologie fondamentale dans un jeu vidéo doit toujours être au service de l’expérience, si elle ne l’est pas cette dernière reste purement décorative et sûrement peu nécessaire au jeu. Pour appuyer ses propos ce dernier prend pour exemple le jeu ICO imaginé par Fumito Ueda et explique pourquoi ce jeu a bouleversé la façon de raconter une histoire dans un jeu vidéo. Pour lui ce bouleversement tient notamment du fait de l’interaction existante entre ICO et la princesse qu’il doit sauver dans le jeu. La plupart des personnages du soft semblent littéralement « vivants » dans la façon dont ils bougent et s’expriment. Cela est possible grâce à la technologie Ragdol, technologie permettant notamment d’animer et de faire interagir les personnages avec leur environnement physique de manière réaliste. Ainsi la princesse « semble vivante d’une manière qui est complètement nouvelle et différente » ; « Les développeurs et concepteurs d’ICO trouvèrent une façon d’utiliser une technologie qui était déjà connue de manière purement décorative, et la transformèrent en une expérience de jeu que le monde n’avait jamais vue auparavant ». 


De la même manière, dans un jeu tel que Silent hill 2, la technologie est fondamentale et nécessaire afin de créer une expérience et notamment une ambiance telle, que le jeu vidéo en a peu connu. Le titre affiche des graphismes impressionnants, un travail d’envergure sur le jeu des ombres et des lumières ainsi que sur la musique, donnant tout son sens à l’expérience vécue par le joueur dans laquelle il est complètement absorbé. Toutes ces technologies servent considérablement l’expérience de jeu et lui permette alors de dépasser le cadre de son propre média, d’atteindre un autre niveau bien au-delà du simple jeu, à savoir une expérience se situant quelque part entre la peur et la vie.

Suite et fin de l'articlehttp://jeuvideart.blogspot.com/2011/10/le-jeu-video-et-lintermedia-la.html

1 commentaire:

hds a dit…

Merci de ton commentaire sur mon article de "Remplir des Sacs" ! En effet il porte le même nom que ton blog, je peux t'assurer que c'est fortuit, sinon je t'aurais demandé la permission ;) Bonne continuation !


hds

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