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dimanche 15 avril 2012

Test Mass Effect 3


LÉGENDE GALACTIQUE



MASS EFFECT 3

De BioWare, édité par Electronic Arts.


 La galaxie est en guerre. Après avoir vaincu Sovereign et les récolteurs, il est temps pour le commandant Shepard et ses alliés de se rassembler pour mettre fin à la menace des moissonneurs qui jusque-là était encore restée abstraite. Le ton grave et pessimiste qui règne sur ce dernier opus prépare petit à petit le joueur à appréhender cet ultime combat qui pourrait bien être le dernier.

L’introduction du jeu met d’ailleurs un point d’honneur à nous faire comprendre que la supériorité de l’ennemi face aux forces armées de l’alliance est sans appel. Technologiquement beaucoup plus avancés et bien plus nombreux, les moissonneurs lancent une attaque éclair d’envergure contre les planètes d’origines de chaque espèce et font bientôt régner le chaos dans toute la galaxie. La terre n’est bien sûr pas épargnée et le combat du commandant Shepard contre les moissonneurs débute immédiatement sur notre belle planète bleue, tout du moins ce qu'il en reste. Le joueur est alors rapidement plongé au cœur même de l’action au travers d'un tutoriel de luxe servi par une mise en scène des plus efficaces.

L'heure de la moisson à sonné !


Côté Gameplay on retrouve très rapidement la nervosité des combats apportée par le deuxième opus. Quelques nouveautés font leurs apparitions dont notamment la possibilité de pouvoir désormais faire des roulades. Pratique pour esquiver les tirs, celles-ci font gagner à Shepard un peu de souplesse et cela s’en ressent d’autant plus grâce aux animations beaucoup plus fluides qu’auparavant. Le système de cover emprunté à Gears of War est bien sûr toujours présent et fonctionne mieux que jamais. Au point que l’on se demande parfois si l'on n’est pas en train de tirer sur quelques Locust échappés du jeu post apocalyptique d’Epic. En outre, si le précédent titre avait quelque peu négligé l’aspect rôliste au profit d’un surplus d’action, cet opus rectifie le tir et apporte une dimension tactique bienvenue. Le retour des mods d’armes et à la refonte complète des délais d’utilisation des pouvoirs permettent de rééquilibrer la balance entre action et RPG.

Les combats sont toujours aussi dynamiques.
Loin de se contenter d’un gameplay efficace et peaufiné, BioWare a bien évidemment mis l’accent sur ce qu’il sait offrir de meilleur à ses jeux : ambiance léchée et histoire au diapason sont au rendez-vous pour ce dernier chapitre. L’ambiance pesante de la guerre qui fait rage est presque palpable ; malgré un Level design toujours aussi cloisonné depuis l’arrivé des Covers, il permet en revanche d’offrir au joueur une maitrise sans faille de l’action toujours plus rythmée et bien souvent ponctuée par de nombreuses cut scenes impressionnantes qui viennent parfaire la mise en scène globale du jeu.

L’histoire quant à elle est ici plus que jamais admirablement bien écrite, tout est fait pour plonger le joueur au cœur de l’action et l’impliquer au plus près du conflit qui fait rage. Que ce soit à bord du Normandy ou bien de la citadelle, le jeu ne donne pas une minute de répit au joueur et l’engage dans de nombreux  dialogues très efficaces et toujours aussi fins. Ceux-ci déboucheront  le plus souvent sur des quêtes à accomplir nous invitant ainsi à parcourir la galaxie afin de rassembler le plus de force possible pour affronter l’ennemi commun.

Comme à l'accoutumée, L’accomplissement de ces quêtes conduira le joueur à prendre des choix plus difficiles les uns que les autres. Pour clôturer sa trilogie en beauté, BioWare à mis la barre très haute quant au poids des décisions et de leurs conséquences qu’il va incomber au joueur.
Les choix proposés posent comme l’on rarement fait d’autres jeux auparavant, de véritable dilemme. Bien qu’ils soient moins nombreux que dans les opus précédents, BioWare a préféré dans un souci de maitrise de son histoire – et cela sans ressent fortement dans la qualité globale du scénario — limiter les choix proposés au joueur, mais ces derniers seront plus déterminants que jamais quant au devenir de la galaxie. Les sacrifices à faire sont nombreux et le sens du devoir ainsi que les lourdes responsabilités qui pèsent sur les épaules du commandant Shepard sont plus que jamais au centre de l’histoire. 



Le choix de toute une vie



( ATTENTION SPOILER ! ce qui suit révèle des éléments clefs de l'intrigue et sur la fin de Mass Effect 3)

L’un des choix les plus troublants restera sans doute celui concernant l’espèce des Krogans. Entre perpétrer secrètement le génocide d’une espèce ou bien la préserver dans le seul but d’obtenir une aide précieuse contre l’envahisseur avec toutes les conséquences les plus néfastes que ces choix impliquent, BioWare maitrise l’art et la manière de nous mettre dans des situations bien délicates. Certains choix suscitent en effet de vraies secondes de réflexion avant de délivrer la « sentence ». Car voilà, Shepard, le joueur, fait ici figure à la fois de véritable juge et d’exécuteur. Les conséquences de nos actes seront toujours à double tranchant et bien souvent les choix se résumeront à sauver des milliers de vies pour en sacrifier des milliers d’autres.

Le cas des Krogans reste exemplaire en ce sens afin d’illustrer toute l’ambiguïté morale et les questions d’éthiques que soulèvent certains des choix qui sont proposés au joueur. Qui suis-je pour décider du futur de toute une espèce ?  Qui suis-je pour avoir autant de pouvoir et de contrôle entre mes mains ? Pourquoi moi ? Ces questions peuvent perturber allégrement le joueur au moment de prendre des décisions aussi lourdes. Le personnage de Shepard lui-même se posera d’ailleurs  les mêmes questions comme pour mieux tenter de répondre à nos propres interrogations. On lui répondra simplement qu’elle est la personne la mieux placée pour régler ce conflit et qu’il ne peut pas en être autrement. Difficile de vivre avec ça.

Et comme si les choix n’étaient déjà pas assez difficiles, leurs conséquences impliquent bien souvent ceux qui sont les plus proches du commandant. Ainsi, si le joueur prend les décisions  qui éthiquement lui semblent les plus « raisonnables » dans ce contexte particulier, il prendra le risque de voir les personnages principaux de la série mourir les uns après les autres. Le vice est poussé ici à son paroxysme et, en jouant intelligemment sur les liens affectifs qui unissent le joueur avec les différents personnages du jeu depuis le début de la série, BioWare s’assure ainsi de rendre les conséquences de nos actes encore plus tragiques. Là encore, le sens du sacrifice est au centre des décisions à prendre et en tant que joueur il faudra choisir entre la raison du cœur et celle de l’esprit.


Il faudra faire vite pour sauver ce qu'il reste de la terre.
Les choix les plus difficiles resteront toutefois ceux à effectuer une fois l’heure fatidique arrivée. Cette fameuse fin qui fait tant parler d’elle vient proposer au joueur trois choix bien distincts les uns des autres et donc trois fins plus ou moins différentes  (16 si l’on compte les détails) qui viennent balayer d’un revers de main tous les autres choix effectués  jusque-là, et ce, depuis le premier opus. Des choix énoncés par le catalyseur qui justifie ce chaos pour en éviter un plus grand encore : l’éradication des organiques par les synthétiques. Le conflit mythique entre les créateurs et leurs créatures est donc à l’origine de la création des moissonneurs qui jusque-là étaient la solution du catalyseur pour éviter l’extinction pure et simple des organiques.

À défaut d’avoir résolu un conflit qui semble inévitable, les organiques ont en revanche gagné de l’espoir et peut-être un futur plus enviable que celui promis par les moissonneurs ; ce que reconnait aisément le catalyseur forcé de reconsidérer sa solution mise à mal par la détermination du commandant Shepard et de ses alliés.
Les choix finaux qui sont alors proposés et les fins qui en découlent distillent en effet une note d’espoir, l’espoir d’une seconde chance pour tous. Mais le reste du tableau est beaucoup plus terne, le prix à payer pour cette seconde chance est lourd et chacun des choix proposés est un pari risqué sur l’avenir de la galaxie. Aucun n’est parfait et aucun n’est meilleur qu’un n’autre car ils contiennent tous leur lot d’incertitude.

" An end once and for all "

  
    Mass Effect 3 nous propose des fins difficiles à accepter, non pas parce qu’elles sont incongrues, bien au contraire, mais parce qu’elles peuvent déranger la plus part d’entre nous. Celles-ci nous font réfléchir et réagir sur les responsabilités que nous avons sur notre avenir tout en nous faisant entrapercevoir un futur noir qu’il est difficile d’imaginer aujourd’hui et encore moins facile à accepter. Pourtant, certains des enjeux mis en avant dans ce dernier opus font écho de façon tout à fait pertinente aux nombreux maux qui caractérisent quelques malaises socio politique et culturelle de notre époque ainsi qu’aux terribles conséquences que peuvent impliquer les technologies les plus avancées.

Beaucoup ont reproché à ces fins de ne pas correspondre aux attentes entretenues par les nombreux choix effectués depuis le premier opus et de laisser un certain nombre de questions en suspens. Des sentiments de frustration voire de trahison pour certains peuvent être ressentit une fois le jeu terminé et dans une certaine mesure cela peut être tout à fait compréhensible. Mais n’était-ce pas là le but recherché au travers de ces fins ? Était-il vraiment raisonnable et réaliste d'attendre que BioWare Façonne des fins de quelques minutes qui correspondent aux centaines de choix réalisés par les joueurs depuis le premier opus ? et outre les gros problèmes de temps, de budget et de ressource humaine que tout cela pourrait impliquer, est-ce, artistiquement parlant, réellement intéressant ?

La, «  les fins »,  de Mass Effect 3 ne doivent pas être perçu comme des trahisons vis-à-vis de l’ensemble de la série et des choix qu’ils nous ont été permis de faire tout du long, bien au contraire, mais plutôt comme une belle leçon de vie : Personne n’est complètement maitre de son destin et quels que soit le nombre de choix effectués au cours d’une vie, quels que soit le nombre de décisions prises, des événements imprévus viendront toujours bouleverser l’ordre établi et imposer leurs propres crédits.



  La saga Mass Effect est une ode à la vie et à la destruction dans laquelle les choix à prendre sont conséquents, mais au final ceux-ci ne prennent véritablement de sens que si l’issue auxquels ils conduisent est la plus unique et la plus véridique possible. Quel est donc l’intérêt de venir multiplier, détailler et différencier à outrance – comme l’avait malheureusement fait Heavy Rain au point de rendre une quantité de fins peu mémorables — si ce n’est que pour mieux enlever toute la saveur d’une seule et unique fin qui se suffit amplement à elle-même ; d’autant plus lorsque celle-ci nous invite à contempler la beauté tragique et mélancolique d’une destruction inévitable, mêlée à une subtile note d’espoir qu’il est difficile d’oublier une fois la dernière image effacée. Mass Effect 3 vient conclure avec intelligence et sincérité une trilogie épique qui fera date dans l’histoire du jeu.

Est-il vraiment nécessaire d’en demander plus ?

vendredi 16 décembre 2011

Gears of War 3


Gears of desperation
(ATTENTION SPOILER, il est préférable d'avoir terminé le jeu avant de lire ce qui suit.)


  Plus qu’une simple histoire de guerre, la licence Gears of War à su poser au fil des épisodes consoles et surtout des épisodes littéraires une véritable critique sur notre société où l’humanité est encore et toujours responsable de sa propre destruction.  C’est d’ailleurs le constat que fera Marcus, plein de désespoir, arrivé au bout de son périple. Alors que ses compagnons d’armes crient à la victoire, lui vient de réaliser qu’ils n’ont pas gagné la guerre, mais qu’une bataille.

 Une victoire en demi-teinte

 Marcus a perdu ses compagnons d’armes sur le champ de bataille, son meilleur ami puis enfin son père qu’il n’a pu encore une fois sauver. L’avenir d’un héros brisé par les combats est incertain et la plus grande menace pour l’humanité est toujours vivante : ce n’est plus celle des locustes, mais la bêtise humaine elle-même. Une bêtise que l’homme n’est pas prêt de vaincre. Il n’est pas interdit d’y voir dans cette fresque guerrière, des locustes n’étant qu’au final une espèce vivante comme une autre, cherchant à protéger ses terres petit à petit consumées et mises en péril  par des années de guerres et d’exploitations humaines. Là encore l’histoire se répète et tire son inspiration dans les germes des grandes guerres où les premiers colons massacraient déjà les Indiens. Car c’est bien d’un massacre de masse dont il s’agit visant à réduire à néant toute forme de vie Locuste ou Lambente sur serra. Un génocide rendu possible grâce à la seule invention d’un homme qui tient le destin de l’humanité tout entière entre ses mains : le père de Marcus, qui  pour achever son « œuvre » devra sacrifier sa propre vie pour expier ses fautes et celles de ses semblables.

http://www.polycount.com/forum/showthread.php?t=9008
Mais au final, qui des Locustes ou des humains sont les plus monstrueux ?

L’histoire s’arrange toujours pour inverser les rôles et est souvent racontée du point de vue de ceux qui pensent en être les véritables héros. Le personnage de Marcus, pourtant présenté comme le stéréotype du Badass bourrin à souhait, prend en réalité une dimension profondément humaine dans ce dernier épisode.  Conscient de cette victoire factice, celui-ci comprend que son espèce est la seule et véritable menace qui pèse sur cette planète. On découvre alors un homme en proie à ses faiblesses et submergé par les doutes. Il n’est plus un héros, mais juste un homme épuisé par les guerres et leur totale absurdité. 

Faites l'amour, pas la guerre

  La dernière cinématique du jeu retranscrit admirablement tout le désarroi qui s’empare de Marcus laissant tomber tout son attirail de guerre derrière lui avant de se laisser tomber à terre pour scruter l’horizon infini qui s’étend devant lui. Le joueur assiste à l’effondrement psychologique d’un homme qui croyait se battre pour la liberté. Un homme qui, bercé par les illusions, aveuglé par un désir de victoire si fort et guidé par une haine si incommensurable, qu’il en a oublié l’origine même du conflit dans lequel il s’est engagé. Alors que Marcus, d’un coup de couteau, tue symboliquement la reine Locuste — qui arbore ici un visage humain comme pour rappeler que l’homme est à l’origine de ce qu’il lui arrive – sa peine n’en est pas pour autant soulagée. 

Le retour à la réalité est sans concession et la victoire n’est plus définitive, mais seulement plus qu’une chimère. Tout ne semble pas perdu pour autant, une lueur d'espoir subsiste et réside en la personne d'Anya.  Peut-être est-ce au final la seule chose qui ait survécu au travers de toutes ces batailles, ce qui reste de plus cher et de plus beau à l’humanité : l'amour. La seule et unique véritable récompense est celle que Marcus n’aurait jamais pu imaginer avoir en ces temps de guerre.

 Aussi surprenant que cela puis paraitre, ce dernier épisode surprend là où on ne l’attendait pas et vient boucler d’une manière admirable cette trilogie de guerres.
Cette dernière cinématique, mêlant désespoir et renaissance, est d’une puissance d’évocation émotionnelle telle, qu’il est difficile de ne pas y voir là l’un des plus beaux épilogues de jeu et l’un des plus réfléchies de ces dernières années.


   Alors certes, comme le soulignait récemment le game designer Cliff Bleszinski  en déclarant : « gear of n’est pas du Shakespeare », on pourrait difficilement lui donner tort. Néanmoins, s’il on prend l’histoire de gears of war dans sa globalité et qu’on la regarde sous le prisme particulier de ce dernier épisode et de cette ultime cinématique, il est étonnant de voir qu’un un jeu comme celui-ci  puisse soulever autant de questions quant au devenir de notre propre humanité. Et tout d’un coup, la possibilité que notre monde puisse un jour ressembler à celui dépeint ici ne semble étrangement plus si fictif que ça.

mardi 4 octobre 2011

Le jeu vidéo et l’intermedia : A la frontière de l’art ? (partie 3)

Les jeux vidéo et le cinéma

 Le jeu vidéo est depuis sa création est en manque de reconnaissance artistique et cela pour une simple raison, la plupart des individus ne jouant pas ou s’intéressant peu au média, n’ont bien souvent pas conscience du véritable potentiel artistique qu’il détient. Chaque individu sait ce qu’est capable de véhiculer la littérature, le cinéma, la poésie ou bien le théâtre, à savoir une infinité d’histoires, d‘expériences à vivre, de connaissances et de sentiments. Mais qu’offre un médium tel que le jeu vidéo ? De l’interactivité, de l’amusement… et puis après ? Bon nombre de personnes et même ceux qui utilisent le médium ne voient dans les jeux vidéo, et cela reste néanmoins l’une des bases primordiales de tous jeux, qu’un très bon moyen de s’amuser avec un logiciel aussi ludique qu’interactif. Après tout, il ne faut pas oublier que l’un des buts premiers d’un jeu vidéo est essentiellement d’amuser celui qui l’utilise. À quoi bon avoir une histoire passionnante et des graphismes impressionnant si l’interaction ne permet pas au joueur de s’amuser — à minima — d’une manière ou d’une autre, de lui procurer du plaisir à parcourir le jeu en lui proposant challenges et récompenses. Le joueur serait assurément frustré face à un tel manque d’amusement. 

Mais s’arrêter au simple divertissement reviendrait à écarter le véritable potentiel de ce média et oublier que certains jeux vont bien au-delà que de procurer qu’un simple divertissement au joueur, nous l’avons vu au travers de ces quelques exemples que sont Silent hill 2 ou ICO capables de faire ressentir au joueur toute une palette d’émotions plus différentes les unes que les autres. 


Plus encore, le jeu vidéo peut être vu comme un médium à la croisée des chemins de tous les autres et bien plus encore et c’est peut-être bien pour cela qu’il est aujourd’hui si difficile de le cerner. Le jeu vidéo est un médium vaste, capable d’emprunter et de toucher à tous les autres arts en les combinant de plus en plus naturellement, notamment grâce aux nouvelles technologies, puis en les transcendants par son incroyable pouvoir d’interactivité. L’histoire de l’art en général est une histoire d’emprunt, le théâtre a emprunté à la littérature, le cinéma a emprunté au théâtre. Le jeu vidéo, dernier né des industries culturelles, ne fait donc pas figure d’exception et emprunte, depuis presque toujours, copieusement à ses aînés. 




Il est donc, dans l’ordre des choses, de voir les jeux vidéo emprunter à ses ainés ce qui a fait d’eux des arts et notamment de son plus jeune ainé qui n’est autre que le cinéma. Le fait que le jeu vidéo aujourd’hui se rapproche du cinéma, de par ses histoires impliquant de plus en plus le joueur et ses cinématiques, n’est pas un fait anodin. Bien au contraire, il s’agit pour le jeu vidéo d’une part de se voir octroyer son statut d’art comme l’est considéré son ainé, mais d’autre part parce que cet emprunt au cinéma était de toute façon inévitable. L’industrie du jeu et du cinéma ont presque depuis toujours partagé des liens économiques et sociaux. 


Alors que les jeux vidéo commençaient à peine à émerger dans les foyers et à envahir les salles de jeu, certaines grandes majors de l’industrie cinématographique Hollywoodienne s’intéressaient déjà aux revenus à forte croissance dégagée par ce divertissement et n’hésitèrent pas investir leurs capitaux dans le média. Petit à petit l’industrie du jeu et du cinéma — ces industries de « l’entertainment » — se sont vue rapprochée tout naturellement par leur complémentarité économique et leur capacité synergique à vendre massivement des univers, des histoires et leurs personnages sur nos écrans, si bien qu’il est impensable aujourd’hui, de ne pas voir la sortie d’un blockbuster Hollywoodien accompagné de son homologue vidéoludique. Et l’inverse est d’autant plus vrai, de plus en plus de jeux font désormais l’objet d’une adaptation filmique au cinéma, de même que de nombreux films empruntent certains codes visuels ou narratifs propres au jeu vidéo. Certains réalisateurs vont même jusqu’à collaborer ou participer au processus de développement d’un jeu, voire, comme cela a été le cas avec Guillermo Del Toro, de se transformer pour l’occasion en véritable game designer. 



Il à donc toujours été dans la nature même des jeux vidéo de raconter des histoires, de partager des expériences de plus en plus élaborées et n’ayant bientôt plus rien à envier à celles véhiculées par le cinéma. Le seul terme de Cinématique évoque déjà la forte affiliation entre les deux médias et certaines techniques comme la motion capture permettent à l’heure actuelle d’intégrer des gestuelles et des comportements humains de plus en plus crédibles dans un jeu. Le cas, L.A Noire, montre qu’il est aujourd’hui possible d’offrir au joueur une histoire et une expérience interactive aux ambitions cinématographiques d’envergures. Au point de voir ce titre entrer pour la première fois dans l’histoire du jeu vidéo, en compétition dans un festival dédié au cinéma indépendant. Les déclarations de Geoff Gilmore responsable du festival à propos du jeu, illustrent parfaitement les enjeux dont il est question avec l’intermedia et les jeux vidéo : « ce que Rockstar et Team Bondi ont accompli avec LA Noire n’est rien moins que révolutionnaire. C’est une invention d’un nouveau royaume de la narration, en partie cinéma, en partie jeu vidéo, et un tout nouveau domaine d’expression narrative, d’interactivité et d’immersion. Nous sommes au bord d’une nouvelle frontière ».

Vers de nouvelles frontières

  C’est bien de cette « frontière » dont il est question avec l’intermédia. Un jeu comme Heavy Rain ou L.A Noire sont les parfaits exemples du jeu ayant réussi à s’inscrire dans le mouvement d’intermédia puisque l’expérience proposée par le jeu arrive notamment à combiner, ou plutôt, à former un tout presque unique et autonome, entre le cinéma et le jeu vidéo. De cette façon, Heavy Rain, plus encore que L.A Noire, dépasse son propre médium qui est celui du jeu pour ne former qu’une seule et même entité avec la forme cinématographique. Il ne s’agit plus seulement de croisement entre deux médias et de l’introduction d’une cinématique entre deux phases de jeu comme la plupart des jeux le font, mais véritablement d’un assemblage homogène des techniques propres à ces deux médias au point de ne pratiquement plus pouvoir les discerner. Cet assemblage commence par l’introduction même du texte cinématographique et donc d’un scénario qui sera en permanence lié au gameplay. 


Dans Heavy Rain l’interaction entre le joueur, le spectateur et l’œuvre est possible. Le joueur peut plus ou moins contrôler ce qui se déroule sous ses yeux, il est spectateur, mais aussi acteur de cette histoire. Ses choix, ses actions auront un véritable impact sur le jeu et changeront le cours de l’histoire qu’il est en train de vivre. À l’heure actuelle, il semble qu’il soit encore impossible d’obtenir des rapports aussi forts et directs qu’entretiennent les jeux vidéo avec le spectateur — exception faite des Happenings — au théâtre ou encore au cinéma. C’est véritablement là qu’est la grande force de ce média : donner la possibilité au joueur d’agir sur l’histoire.

  


  Dans un jeu comme Heavy Rain, l’importance du texte va prendre toute son ampleur. Le scénario écrit par joue un rôle primordial dans le processus de création du jeu. Le texte ici est plus que jamais indissociable de la mise en scène. D’autant plus que l’un influe constamment sur l’autre, ils sont alors complémentaires et ne peuvent que fonctionner ensemble. Il s’agit en permanence de veiller à ce que le langage scénaristique fonctionne à l’écran, trouver un langage scénique traduisant au mieux le texte écrit. Ce procédé pousse donc les créateurs du jeu à avoir une écriture très visuelle, sans pour autant savoir exactement ce que donnerait le résultat final. Car contrairement au tournage d’un film où le réalisateur à constamment l’œil à la caméra et peut visualiser les rushs pour juger immédiatement de la qualité de la scène tournée, le processus de création du jeu lui est beaucoup plus complexe. Pour se rendre compte de ce que pourrait donner le jeu en action, en images, le processus de création d’un jeu passe par de nombreux prototypages, primordiaux, qui la plupart du temps coûtent cher à mettre en œuvre. De la même manière qu’un réalisateur, le game designer est entouré de nombreuses personnes qualifiées pour créer les scènes qu’il a pu imaginer au préalable. Certaines questions se posent donc, la réalisation ne risque t’ » elle pas, au fur et à mesure que le processus de création avance, de s’éloigner de l’origine du texte ? Peut-être pourrait-elle le trahir, et ne pas lui être assez fidèle ?

Le processus de création d’un jeu n’est — à de nombreux égards — pourtant pas très différent de celui du film. Dans le cas d’Heavy Rain, le game designer David Cage semble, par certains aspects, se poser finalement, comme le réalisateur et le metteur en scène de son texte. Comme tout metteur en scène, Cage veille aussi sur les acteurs qui vont prêter leurs corps, leurs visages et leurs voix aux personnages du jeu. Ce sont d’ailleurs les acteurs les véritables porteurs du texte. Car c’est par eux que va s’adresser le texte au spectateur. C’est aussi par eux que les émotions décrites dans le texte vont se dégager et ce sont encore eux qui vont rendre ce texte « vivant ». Comme dans tout processus créatif nécessitant un jeu d’acteur, ces derniers, au cœur de la représentation, jouent donc un rôle primordial dans la bonne transmission du texte au spectateur. Il était donc essentiel pour David Cage de diriger au mieux ses acteurs, en les guidant, en les conseillant et en les menant là où il le souhaitait, afin d’obtenir de façon visuelle ce qu’il avait été écrit dans le scénario. 

En outre, le concept d’interactivité suscite de multiples rapports entretenus par le jeu avec le texte, le spectateur et notamment le rapport texte-représentation, bien souvent problématique et posant certaines contraintes. Mais avec Heavy Rain le spectateur devient donc aussi l’interprète. En découle le fait que ce dernier va se confronter lors du jeu, à des choix et donc des conséquences diverses qui vont se répercuter directement sur le déroulement de l’histoire. En d’autres termes, le spectateur va concrètement interagir avec le texte en vue de modifier le cours de l’histoire qui se déroule sous ses yeux ; il va agir sur le texte et en modifiera directement sa représentation visuelle. Certes le texte est au préalable écrit, mais les multiples canevas et aléas qu’il offre permettent autant de multiples et différents sens de lecture de ce dernier. Plus que jamais ici, le texte et sa représentation peuvent faire l’objet de multiples relectures, uniques pour chacune d’entre elles, toutes manipulées par le joueur. Les scènes deviennent entièrement interactives. L’interactivité ici entretient un triple rapport qui fonctionne comme un cercle dont le cycle se renouvelle sans cesse : le spectateur agit sur le texte qui lui-même agit sur la représentation qui elle-même va agir à son tour sur le spectateur. Ce dernier ayant visualisé et emmagasiné un certain nombre de données, d’émotions ou encore de questions, va ensuite agir sur le texte en conséquence. Le processus se répète ainsi (en écartant les interruptions de jeu) jusqu’à la fin de l’histoire. Par conséquent, aucune limite n’est posée entre ces trois rapports et donc entre la représentation et le texte. 

Là où le rapport représentation texte pose au théâtre, certain de ses paradoxes, ses contradictions, Heavy Rain les relie par l’interaction. Les barrières entre le texte et la représentation sont littéralement dépassées, car le spectateur-interprète manipule directement le texte préexistant et agit par conséquent spontanément sur la représentation de ce dernier. Là où le théâtre peut privilégier l’un de ses deux rapports, Heavy Rain et le jeu vidéo en général, peut n’en privilégier aucun et au contraire doit les concilier dans le but de faire interagir le spectateur.

Après la pluie, le beau temps

Dans la continuité de ces rapports, il me semble primordial de s’attarder sur le rapport spectateur-représentation. Le but premier d’un jeu comme Heavy Rain — et comme tout autre jeu et œuvre créative — est de pouvoir procurer aux joueurs, aux spectateurs ou aux lecteurs, une expérience. Une expérience basée sur des émotions, des sentiments, un esthétisme ou encore des éléments de réflexion. La meilleure récompense pour un créateur est celle d’avoir réussi à transmettre des émotions, de manière désinvolte ou non, peu importe, du moment que l'œuvre en question implique des réactions, des émotions et des questionnements. 


Heavy Rain comme tout travail créatif tend donc à prendre cette direction et va impliquer le joueur à ressentir, à réfléchir sur ses choix ou encore ses actions. Mais le jeu parvient-il réellement à faire réagir et penser le joueur ? N’a-t-il pas cette position passive que le spectateur peut avoir devant tant de réalisme aussi immersif soit-il ? 



Bien souvent aujourd’hui on donne tout à voir, et à vivre pleinement la représentation au spectateur, comme cela se produit au cinéma par exemple, mais peut-être qu’il n’est pas assez souvent amené à se questionner sur ce qu’il voit ou tout simplement parce que ce n’est pas le but recherché. C’est le problème que s’est notamment posé Bertolt Brecht, à l’égard de certaines représentations théâtrales qui impliquaient trop le spectateur — parce que bien souvent trop mimétique, trop naturaliste — parfois au détriment du texte. Le spectateur ne s’interrogeait plus sur ce qu’il voyait. Il ne s’interrogeait plus sur le texte, noyé par toute cette scénographie réaliste jusque dans les moindres détails, ces décors d’illusion et ses acteurs au jeu naturaliste. Avec l’effet de distanciation, Brecht incitait le spectateur à une prise de conscience de l’œuvre, du texte et de ses problématiques, en l’amenant à réfléchir sur ce qu’il était en train de voir et d’écouter, et était directement interpellé. Au final, Heavy Rain utilise une méthode à l’extrême opposée de celle employée par Brecht et qui pourtant fonctionne aussi — dans le but identique qu’est celui d’amener le joueur/spectateur à ressentir tout en se questionnant — grâce à l’interaction. Grâce au concept ’interactif et narratif d’Heavy Rain, le joueur va être touché au plus près de ses sentiments. 



L’interactivité ici, pousse et incite d’autant plus le joueur à se questionner et peut l’interpeller sur n’importe quel sujet, quel qu’il soit. Car il va être implicitement immergé et impliqué à travers cette histoire, en s’interrogeant, en se remettant en question parce que le joueur sait pertinemment que ses actes auront des conséquences par la suite et que celles-ci seront naturellement irrévocables. À plus forte raison que ses conséquences le concerneront lui ou son entourage fictionnel ; de ces conséquences naîtront naturellement des sentiments, des émotions. 



Au final peut-être s’agit-il tout simplement de « responsabiliser » le spectateur pour le pousser à comprendre ce qu’il voit. L’interactivité peut être ici un moyen de responsabilisation très efficace ; elle donne au spectateur le texte — chargé d’une infinité de pensés, d’images, d’idées, d’émotions, d’humanisme – qu’il va manipuler en vue de s’en faire sa propre représentation. 


C’est là, un grand intérêt que porte un jeu comme Heavy Rain et le média en général. L’interactivité de la mise en scène du texte permet une lecture multiple et personnelle de l’œuvre. Le spectateur est libre de mener sa propre histoire, il l’a conduit là où il le souhaite. La fin du jeu sera le reflet de tous ses actes, l’ultime conséquence de ses choix. Il peut très bien ne pas en être satisfait et regretter ses choix, mais une chose est certaine, c’est qu’il en aura appris les conséquences et pu les visualiser. Il réfléchira et portera un regard d’ensemble sur tout ce qu’il aura vécu à travers l’intrigue, il n’en comprendra que mieux les messages, les idées et les problématiques posées par le texte. 



Le jeu vidéo est donc bien sûr lui aussi capable, de faire entrer le spectateur dans un univers narratif complexe et riche en émotions tout aussi bien que l’ont toujours fait et continuent de le faire, la poésie, le conte ou le théâtre. À certains égards, le jeu lui aussi, l’à d’ailleurs toujours été. Dès ses débuts, certains créateurs ont tout de suite décelé le potentiel créatif et artistique sans limites que pouvait offrir un tel média. Certains développeurs se sont posés comme de véritables artistes en proposant des jeux capables de créativité et d’innovation, déjà en marge avec les premiers standards de l’époque. Seulement à ses débuts, le jeu vidéo n’avait pas encore les moyens, ni les techniques nécessaires dont il dispose aujourd’hui, pour véritablement s’épanouir. Le jeu vidéo est assez mature et commence à peine à avoir les moyens techniques, pour assumer et exploiter pleinement son potentiel créatif et narratif. En un sens, le parcours historique des jeux vidéo et son évolution sont très similaires à celui du cinéma ou même de la bande dessinée. Avant de devenir ce qu’on nomme aujourd’hui le septième art, le cinéma a longtemps été lui aussi sous-estimé et considéré comme un simple divertissement qui ne valait pas que l’on s’y attarde plus que ça. La technique n’était pas encore au point, le son n’existait pas, la couleur non plus et personne n’aurait imaginé que l’on puisse y raconter par son biais, de riches histoires. 

Pourtant, lorsque l’on étudie et observe attentivement son parcours, on se rend compte que certaines personnes déjà à l’époque étaient capables de faire preuve de créativité et de narration, parfois juste en se contentant de filmer des prises de vues sous différents angles, différents cadres, le tout en noir et blanc. Aujourd’hui, plus personne n’oserait dire que le cinéma n’est pas un formidable support artistique et créatif inépuisable, n’attendant que d’être exploré. Si le jeu vidéo n’est pas pleinement considéré comme un véritable support créatif, comme un art véritable, c’est aussi parce qu’il s’agit d’un média encore très jeune, souvent incompris et qui n’a peut-être pas encore fait suffisamment ses preuves aux yeux de tous, comme l’a fait le cinéma il y a longtemps maintenant. Mais ce n’est qu’une question de temps, il faut espérer que de plus en plus de jeux proposeront autant de narration et de poésie que le font des arts comme le cinéma ou la littérature, de montrer ce dont est capable le média quand il s’agit de raconter de grandes histoires extraordinaires et intemporelles. Il est en tout cas certain qu’à un moment donné ou un autre, le jeu vidéo se devra de grandement bouleverser quelques codes et fondements qui lui sont propres pour prétendre enfin, à une véritable reconnaissance artistique ou la confirmer tout du moins ; le poids économique de cette industrie pesant énormément aussi sur la crédibilité de ce média et ne l’aidant pas forcément à s’élever au rang d’art à part entière. Mais il y a fort à parier qu’il atteindra ce rang dans les prochaines années à venir notamment grâce à des jeux tels que Heavy Rain. 



  Il faudra désomais regarder du côté de ces jeux qui osent ne poser presque plus aucune frontière entre leur propre médium et celui des autres, ces quelques jeux parvenant à atteindre l’intermédia et réussissant à toucher quelque chose de la vie. Aujourd’hui le jeu vidéo est en passe, à l’ère des technologies nouvelles, de devenir ce qu’il a potentiellement toujours été : un inépuisable support créatif et un moyen d’expression, tout aussi puissant que peut l’être n’importe quel autre art. Un art qui néanmoins, pour parvenir à une reconnaissance universelle, a encore du chemin à parcourir et beaucoup à apprendre de ses ainés; car l'avenir du jeu vidéo s'étend bien au delà de ses propres frontières.


Thomas BOUCHER.

Sources : L’art du game design, de Jesse Schell.
Statement of intermedia, Dick Higgings.

vendredi 23 septembre 2011

Le jeu vidéo et l’intermedia : A la frontière de l’art ? (partie 2)

Peintures ludiques

  On pourrait craindre alors que ce décalage soit persistant, puisque la technique ne cessera jamais d’évoluer et risque d’être toujours aussi coûteuse, il paraît difficile que ce décalage soit, un jour, comblé . Mais cela serait omettre que la technique employée par les jeux à un moment donné ou un autre sera telle, qu'il sera sûrement possible qu’elle permette à des créateurs de réaliser des jeux dépassant nos rêves les plus fous au point que l’art fera, à coup sûr, partie intégrante de la technique. Si cette ère n’est pas encore pour tout de suite, alors la grande majorité des jeux les plus originaux et ambitieux risquent bien de se trouver encore pendant quelques années dans les techniques antérieures. Pourtant comme l’expliquait Higgings, la plupart des médias se rattachant à des techniques trop obsolètes, ne peuvent faire partie de l’intermedia. Et quand bien même que des jeux comme deadly premonition ou Minecraft soient de véritables petits chef d’oeuvres d’inventivités et d’originalités, il restera toujours ce sentiment amer à savoir de se demander ce qu’aurait pu donner une telle inventivité et originalité accompagnée d’une technique de pointe. 


Cela veut-il dire pour autant que ces jeux indépendants s’émancipant des technologies actuelles et n’appartenant pas à l’intermedia,  ne pourraient pas d’une certaine façon être abouti artistiquement ? Pour répondre à cette question, essayons de regarder du côté d’autres Arts tels que la peinture par exemple.


 La peinture, quel que soit son style ou sa technique, est un art reconnu de tous.
                                                          
  Tout comme avec les Happenings, il est très intéressant de comparer la peinture et les jeux vidéo qui présentent plus de similitudes que l’on pourrait ne le penser. La peinture tout comme le jeu vidéo crée d’abord de l’interaction. Un individu face à un tableau va automatiquement établir une interaction plus ou moins inconsciente avec l'objet. Avant de comprendre ce qu’il est en train de regarder, le spectateur établit déjà une connexion avec le tableau. Celle-ci va généralement susciter des images, des souvenirs, des histoires ou encore une multitude d'émotion. En prenant en considération et en assemblant tous ces éléments, le spectateur a alors le pouvoir de rentrer dans une situation de jeu d’assemblage, se créant ainsi sa propre histoire ; cela avant même d’avoir lu l’écriteau sous le tableau donnant des informations clefs pour mieux comprendre l’œuvre. Les peintures et les jeux nous racontent des histoires, des expériences et créent donc inlassablement de l’interaction avec celle ou celui qui les contemple. 


Outre leur ludicité, ce que partagent comme autre point commun la peinture et les jeux vidéo, n’est autre que leurs technicités. La peinture depuis l’ère préhistorique n’a cessé d’évoluer au fil des années en multipliant ses techniques et donnant ainsi naissance à une infinité de styles aussi divers que l’impressionnisme, l’expressionnisme, le réalisme, le cubisme ou encore le contemporain pour n’en citer que quelques uns. Tous ces mouvements utilisent des techniques et un style artistique qui leur sont propres. Il est inconcevable de prétendre qu’un style soit plus « artistique » qu’un autre en comparant leur technique. Pourtant, l’amateur de peinture aura souvent plus tendance à être impressionné par une peinture photoréaliste de Roberto Bernardi plutôt que par une peinture cubique ou abstraite de Pablo Picasso et aura plus souvent tendance à la dénigrer, tout simplement parce qu’il ne la comprendra pas mais surtout parce qu’il il n’y verra pas de prouesse technique. Il n’en reste pas moins que derrière chaque style se cache un travail, une réflexion, un message, un talent qui lui est propre et qui lui vaut pleinement son originalité artistique.



Les styles et les techniques utilisés dans un jeu peuvent être très variés.


Il en va ainsi de même pour les jeux vidéo, depuis leur création, la technique et les styles n’ont cessé d’évoluer. Passant ainsi de la 2D à la 3D, puis parcourant le graphisme photoréaliste ou encore le Cell Shading. Là encore, même si l’évolution de la technique a permis l’apparition de nouveaux styles graphiques, il n’en reste pas moins que chacun de ces styles reste et resteront inexorablement originaux et artistiques. Certains jeux en 2D seront toujours là pour nous rappeler qu’ils sont capables de nous faire vivre des expériences inoubliables, parfois même mieux que la plupart des jeux en 3D actuels aux graphismes presque photo-réalistes et dont nous oublierons le nom quelques mois plus tard. De même que la première peinture préhistorique peinte sur la paroi d’une caverne, elle restera à jamais une technique à part entière et qui plus est artistique, malgré les milliers d’années qui la séparent des peintures les plus contemporaines. Quel que soit le style de l’œuvre, ce qui importe ce sont les messages, les histoires, les expériences qui se cachent derrière chaque image et qu’a voulu transmettre son auteur.

Au bout de cette comparaison avec la peinture il apparaît alors clairement, que les jeux n’appartenant pas à l’intermedia et ce, quel que soit leurs styles graphiques ou leurs techniques, font incontestablement preuve pour certains d’ambitions artistiques. Toutefois, la comparaison entre ces deux médiums va vite trouver ses limites et justement dans leurs techniques, qui, bien qu’assez similaires dans leurs formes, restent en revanche très différentes dans leurs fonds. 

Technologie quand tu nous tiens !

  L’art de créer un jeu vidéo repose essentiellement sur une technologie informatique. C’est peut-être bien l’art le plus dépendant de sa technique et le processus de création d’un jeu vidéo est une grande histoire de compromis entre la technique et les ambitions artistiques. De tous les arts, c’est sûrement celui qui exige l’une des plus grandes coordinations entre l’homme, la technique et les idées. La technologie informatique est au cœur du jeu vidéo et cette technologie est complexe, qui de surcroît évolue tellement rapidement qu’il est parfois difficile pour les créateurs de concilier l’art et la technique. Par conséquent, le jeu vidéo n’a guère le temps de se reposer, contrairement à d’autres arts tels que la peinture, sur ses techniques alors que d’autres apparaissent quelques mois, quelques semaines voire quelques jours plus tard. Pourtant, ce média ne peut s’accomplir artistiquement sans ses techniques les plus actuelles, car sans elles il ne pourra jamais dépasser le cadre même de son propre médium pour atteindre l’intermedia.


Les oeuvres de Marcel Duchamp. Ce dernier
n'imposait aucune limite à son art.
C’est pourtant bien dans l’intermedia que se trouve le meilleur de la production artistique. Dans statement of inermedia, Dick Higgings prend pour exemple le travail de Marcel Duchamp qu’il qualifie d’art « entre la sculpture et autre chose ». Il compare ensuite son travail à celui de Picasso qui selon lui s’essouffle parce qu’utilisant et se reposant sur des techniques qui ne résonne plus dans l’ère de notre temps ; « Picasso est aisément rang dans l’ornement peint », ajoute-t-il. Cette dernière constatation est tout aussi applicable au domaine du jeu vidéo et à fortiori parce que ce médium ne peut se reposer que peu de temps sur sa technique qui évolue très rapidement. S’il est évident que Picasso a pu grâce à son style et ses techniques révolutionner son art et le faire évoluer pendant des années après, il est tout aussi évident que ses oeuvres ne résonnent plus de la même manière à notre ère, qu’à celui d’il ya une vingtaine d’années. Similairement, un jeu vidéo dont la technique est dépassée, affichant des graphismes cubiques ou usant de la 2D, certes possédant assurément des qualités artistiques incontestables, n’aura quand bien même plus le même impact ludico-technique auprès du joueur contemporain qu’il y a une dizaine d’années, au mieux il éveillera une certaine nostalgie. Le jeu vidéo n’a pas le temps comme la peinture de pouvoir se reposer quelques années sur une technologie antérieure devenue très vite « obsolète ».

En outre, il ne faut pas oublier que l’homme attend toujours de la technologie qu’elle l’impressionne et surtout qu’elle évolue. Allez proposer à un développeur indépendant de créer le jeu de ses rêves tout en lui expliquant qu’il bénéficiera des meilleures technologies actuelles, de la meilleure équipe de développement et de fonds illimités. Bien sûr il n’hésitera pas une seconde de plus avant de se lancer dans l’aventure. Il est très probable que ce dernier avec un peu de talent et d’imagination arrivera à créer le jeu de ses rêves et qu’il n’utilisera surement pas des techniques trop antérieures. Après cela demandez-lui de retourner travailler seul avec ses propres moyens techniques et financiers, il est presque aussi probable qu’il regrettera amèrement ce temps où il aura pu donner libre cours à son imagination grâce à une technique lui ayant permis de faire un jeu comme il l’avait exactement imaginé. 
Certes, penser qu’un créateur puisse bénéficier de tous ces avantages techniques et financiers est utopique. De plus, s’il n’existe sûrement pas encore la technologie nécessaire pour qu’un créateur puisse véritablement créer le jeu de ses rêves, cela ne l’empêchera pas pour autant de créer avec les moyens dont il dispose. Mais le compromis entre l’art et la technique est bien là, un créateur, à moins de vouloir retrouver une nostalgie graphique des anciens jeux, n’ira probablement pas développer un jeu avec une technologie dépassée s’il a les moyens techniques et financiers de pouvoir exprimer tout son art autrement.

Le jeu vidéo ne peut donc se reposer uniquement sur ces techniques antérieures pour espérer en tirer par émancipation d’une technologie — complexe et coûteuse, mais indispensable à son évolution — le meilleur de sa production artistique. Le jeu vidéo ne peut que s’épanouir artistiquement dans ce parfait alliage qu’est celui de l’art et de la technique moderne. Sans cela il ne pourra pas dépasser ses propres frontières pour aller toucher d’autres médias et s’accomplir artistiquement.

N’existe-t-il alors aujourd’hui encore aucun jeu usant de techniques de pointes et capable de prouesse artistique ? N’existe-t-il aucun jeu appartenant à l’intermédia ? Il est évident que non. Il existe depuis toujours quelques jeux ayant réussi à relever le défi d’allier brillamment art et technique moderne. Certains jeux ont réussi à tirer le meilleur de ce que leur permettait leur technologie pour servir leurs ambitions artistiques et comptent parmi ces rares jeux ayant su tirer parti du meilleur de leur technique aussi moderne soit-elle.

Le véritable problème pour les créateurs de jeu vidéo aujourd’hui n’est pas celui de choisir la technologie la plus performante pour créer une bonne œuvre, loin de là, mais de choisir la technologie qui lui est la plus adéquate, mais aussi la plus rentable aussi bien artistiquement qu’économiquement parlant et qui lui permettra de créer tout en exprimant au mieux ses idées. 
La technologie ragdol utilisée dans ICO renforce
incontestablement l'expérience de jeu.

De l'art ou du cochon ?

  Un peintre choisira le bon pinceau et les bonnes couleurs avant de commencer à peindre. Le sculpteur, le bon marteau et le bon burin avant de sculpter. Le créateur de jeu vidéo devra lui aussi choisir le bon outil pour Créer. La technologie employée devra être rigoureusement choisie car c’est d’elle que découlera une bonne partie de la réussite artistique et commercial d’une œuvre ou non. 
Si la technologie est si nécessaire à ce média c’est justement parce que l’œuvre en devenir va reposer littéralement sur celle-ci. Sans la technologie informatique, l’œuvre viédoludique ne peut exister et les idées du créateur prendre vie. C’est pourquoi il est primordial que cette technologie évolue de façon à permettre au créateur de réaliser des oeuvres toujours plus grandes, toujours plus complexes et résolument plus artistiques.

Néanmoins il est important de ne pas écarter le fait qu’une technologie aussi performante soit-elle, peut s’avérer être totalement inutile si elle n’est pas au service de la créativité.

Beaucoup trop de jeux aujourd’hui se dotent de techniques de pointes mais au détriment d’un contenu créatif bien trop souvent peu présent voire inexistant. Le producteur soucieux de vendre son jeu va souvent exiger l’emploie d’une technologie dernier crie mais dont le cout en temps de maîtrise et en argent, empiétera inéluctablement sur la partie artistique du jeu. A quoi bon servirait le pinceau le plus chère et soi-disant le plus efficace du marché, si le peintre l’utilisant juge qu’il lui est peu nécessaire et lui préfère un pinceau bien plus approprié pour son approche artistique ? 

Un certains nombres de producteurs et/ou de créateurs de jeux ne prenant pas en compte le fait du décalage permanent entre l’art et la technique, font donc souvent le choix de vouloir s’accaparer une technologie trop récente dont ils ne maîtrisent parfois pas les coûts et dont l’utilisation s'avère être inadéquate pour créer leur jeu. Il s’agit au contraire de trouver le parfait équilibre entre l’art et la technique, c’est à dire que l’un doit répondre à l’autre, ils ne doivent pas cohabiter mais au contraire ne faire plus qu’un et pour cela, il faut d’abord choisir la bonne technologie.

Le game designer Jesse Schell dans son livre, l’Art du game design, explique qu’une technologie fondamentale dans un jeu vidéo doit toujours être au service de l’expérience, si elle ne l’est pas cette dernière reste purement décorative et sûrement peu nécessaire au jeu. Pour appuyer ses propos ce dernier prend pour exemple le jeu ICO imaginé par Fumito Ueda et explique pourquoi ce jeu a bouleversé la façon de raconter une histoire dans un jeu vidéo. Pour lui ce bouleversement tient notamment du fait de l’interaction existante entre ICO et la princesse qu’il doit sauver dans le jeu. La plupart des personnages du soft semblent littéralement « vivants » dans la façon dont ils bougent et s’expriment. Cela est possible grâce à la technologie Ragdol, technologie permettant notamment d’animer et de faire interagir les personnages avec leur environnement physique de manière réaliste. Ainsi la princesse « semble vivante d’une manière qui est complètement nouvelle et différente » ; « Les développeurs et concepteurs d’ICO trouvèrent une façon d’utiliser une technologie qui était déjà connue de manière purement décorative, et la transformèrent en une expérience de jeu que le monde n’avait jamais vue auparavant ». 


De la même manière, dans un jeu tel que Silent hill 2, la technologie est fondamentale et nécessaire afin de créer une expérience et notamment une ambiance telle, que le jeu vidéo en a peu connu. Le titre affiche des graphismes impressionnants, un travail d’envergure sur le jeu des ombres et des lumières ainsi que sur la musique, donnant tout son sens à l’expérience vécue par le joueur dans laquelle il est complètement absorbé. Toutes ces technologies servent considérablement l’expérience de jeu et lui permette alors de dépasser le cadre de son propre média, d’atteindre un autre niveau bien au-delà du simple jeu, à savoir une expérience se situant quelque part entre la peur et la vie.

Suite et fin de l'articlehttp://jeuvideart.blogspot.com/2011/10/le-jeu-video-et-lintermedia-la.html

samedi 10 septembre 2011

Deus Ex, Human revolution


Un monde nouveau à portée de main. 
  
  Pour beaucoup de joueurs Deus Ex restera à jamais graver dans les mémoires comme l’un des jeux les plus novateurs de ces dix dernières années et pour longtemps encore. Car il faut bien l’admettre, même encore aujourd’hui, à l’heure où la technologie permet désormais de faire des choses de plus en plus impressionnantes, Deus ex supplante, en matière de liberté d’action et de narrativité, bon nombre de jeux sortis jusque-là.
  Pourquoi un tel engouement pour ce jeu sorti il y a plus d’une dizaine d’années maintenant ? Pour le comprendre il faut y avoir joué et pu éprouver cette expérience si significative dans la vie d’un joueur, afin de se rendre compte a quel point le premier Deus ex était une exception dans l’univers du jeu vidéo. Demandez à deux joueurs de vous raconter leurs expériences Deus ex, il y’a peu de chance que ces derniers vous content la même histoire. Si l’on devait retenir qu’une seule chose de l’expérience offerte par ce jeu, ce serait avant tout la possibilité pour le joueur de parcourir un monde avec lequel il pouvait interagir constamment et comme bon lui semblait. Puis la possibilité de ressentir cette formidable sensation si unique dans l’histoire du jeu vidéo, à savoir que tout un monde interagissait lui aussi sur le joueur et répondait en conséquence de ses actions.

  Après un deuxième épisode en demi-teinte qui resta dans l’ombre de son illustre aîné, la franchise revient sept années plus tard sur le devant de la scène avec ce Human revolution. Pourquoi autant de temps ? Parce que s’attaquer à une franchise aussi célèbre que celle de Deus ex, n’est jamais une mince affaire pour tout concepteurs désireux de reprendre les rênes d’une licence devenue culte pour beaucoup. C’est d’abord s’affubler d’une lourde responsabilité puis prendre les risques de s’attirer les foudres d’une communauté de millier de joueurs à travers le monde. Deux ex, Invisible War en aura d’ailleurs fait les frais et en auront sûrement dissuadé beaucoup par la suite, d’espérer pouvoir s’accaparer l’univers complexe et si particulier de Deus ex. Pourtant, de l’eau a coulé sous les ponts depuis et c’est un peu le pari fou que s’est lancé Eidos Montréal en annonçant qu’il prenait en charge la conception et l'édition d’un nouvel opus. Quatre Années, c’est le temps nécessaire qu’il aura fallu aux développeurs d'Eidos  pour concevoir et redonner vie à la franchise avec la promesse de respecter le mieux possible, les codes élémentaires qui ont fait tout le succès du premier opus. L’attente pour beaucoup fut longue et les espoirs de voir renaître un monument du jeu vidéo de ses cendres, tout aussi grand.

La "magie" Deus ex.

  Autant le dire tout suite, il serait inutile et complètement absurde de vouloir comparer un jeu vénéré par des millions de joueurs à ce nouvel opus fraîchement sortis qu’est Human revolution. Certes, les développeurs ont promis de retrouver les caractéristiques si spéciales de son aîné, mais sans pour autant afficher la prétention démesurée de vouloir devenir aussi culte. Car dans l’esprit de beaucoup de joueur si le titre d’une franchise idôlatrée n’est pas digne de son ou de ses prédécesseurs parce qu’il n’est pas aussi bon ou ne surpasse pas ces derniers, il est généralement automatiquement sous-évaluer. Comparer, en tout point, Human Revolution au premier Deus ex, serait une perte de temps et reviendrait à occulter les nombreuses qualités du premier-né d’Eidos Montréal. Et des qualités, ce nouveau deus ex en possèdent beaucoup dont, pour la plupart, peu de jeux peuvent aujourd’hui se vanter d'avoir.
Cela dit, autant battre le fer tant qu’il est encore chaud et s’attaquer une fois pour toutes au seul point qu’il est peut être justifiable de regretter au premier deus ex : son interactivité narrative. Oui, Human revolution est un très grand jeu ; mais, oui, il lui manque la « magie » du premier opus.


  Ce que j’appelle magie, c’est ce côté si unique apporté par Warren Spector et son équipe à l’époque, sur le travail d’une histoire interactive qui avait rendu Deux ex si particulier. L’une des plus grandes qualités de ce dernier était justement d’intégrer et de prendre largement en compte les actions personnelles du joueur au sein même de l’intrigue. C’était le véritable tour de force du jeu, beaucoup de vos actions apportaient logiquement leur lot de conséquences et modifiaient à court ou long terme la trame narrative. Deus ex offrait la sensation au joueur d’évoluer dans un monde en perpétuelle évolution sur lequel, par le moyen de ses actions, il pouvait interagir directement ou indirectement. Plus encore, Deus ex surprenait par sa manière de prendre en compte vos actions et de réagir en conséquence. Son monde établissait des liens de causes à effets, l’interaction n’était pas à sens unique avec seulement le joueur qui pouvait agir sur le jeu, mais c’était aussi le jeu lui-même qui agissait sur le joueur en répondant tôt ou tard à ses actions. Là où peu de jeu ont à peine effleuré cette interactivité à double sens, Deus ex a touché du doigt ce que devrait être dans quelques années, l’avenir du jeu vidéo : L’intégration totale de la narrativité au cœur même du gameplay et non plus une narration complètement détachée et scriptée linéairement ; donnant ainsi le pouvoir au joueur d’influer sur l’espace, le temps et l’histoire de tout un monde lui-même capable de réagir en conséquence. C’est le principe même d’interactivité pure qui est potentiellement présent dans le média mais largement sous-exploité voire occulté par beaucoup trop de jeux aujourd’hui.

  Bien sûr, quelques choix impliquant des conséquences futures sont bien présents dans Human Revolution et il faut saluer l’effort des développeurs de les avoir implémentés. Mais malheureusement ils n’ont jamais le même impact que ceux de deus ex premier du nom. Là où le premier volet nous surprenait justement au niveau des conséquences de nos actes mêmes les plus minimes, Human revolution essaye fébrilement de retrouver le chemin emprunté par son aîné sans jamais vraiment l’atteindre. Le jeu tombe parfois dans l’autocaricature avec des clins d’œil-hommage du style : Visitez les toilettes des dames et quelqu’un vous en fera la remarque plus tard. Ce genre de fait scénaristique peut faire sourire mais ils permettaient déjà à l’époque du premier Deus Ex de faire sentir au joueur qu’il vivait dans un univers mouvant. Sur ce point, Human revolution n’est en comparaison, et ce malgré quelques bonnes idées, qu’une petite esquisse de ces savoureux moments d’interactivités « joueurs-machine » offertes par Deus ex. A titre d'exemple, tuer ou laisser en vie un personnage important n’aura généralement que très peu ou aucune répercussion par la suite. De même que beaucoup de vos actions accomplies lors des quêtes principales ou même secondaires - ayant pour ces dernières, elles aussi la bonne idée de proposer certains choix - n’auront là aussi, trop peu d’impact significatif sur le futur. Pour les rares occasions où les conséquences de nos actes passés se révèlent, ils parviennent difficilement à nous surprendre et s’avèrent très anecdotiques.


  Peut-on pour autant en vouloir à Human revolution de ne pas retrouver cette fameuse " magie " ?
Si j’utilise le mot magie ce n’est pas par hasard, car il faut le reconnaître, de mémoire de joueur, aucun titre encore aujourd’hui - mis à part peut être l'excellent Demon's souls ou le très interactif Heavy Rain, mais encore d'une autre façon - n’a pu retrouver ne serait-ce qu'une petite partie de l'interactivité aussi poussée entre le gameplay et la narration - cause à effet - que celle du premier deus ex. Cela n’a pourtant pas empêché des jeux aussi puissants que Half life – posant déjà les bases d’une nouvelle narrativité dans un FPS, avant Deus ex – ou plus récemment Bioschock, s’inscrivant directement dans la lignée des deus ex, de devenir des jeux tout à fait cultes. Personne n’aurait d’ailleurs la prétention de dire que des jeux comme Bioschock ou Half life soient « limités » en comparaison à deus ex parce qu’ils ne retrouvent pas son interactivité scénaristique si particulière. Et ce, pour la simple raison que ces deux titres possèdent d’autres qualités interactives concernant leurs narrations, qui leur sont tout à fait propre et assez unique en leur genre, pour finir de faire d’eux des titres exceptionnels.

  Il est donc très facile d’imputer la faute à Human revolution, en tant que descendant direct de la lignée, de ne pas retrouver la magie du premier deus ex ; mais il ne faut pas perdre de vu que beaucoup d’autres jeux tout aussi grands que lui, n’y sont, eux aussi, jamais parvenu. Plus qu’un simple héritier condamné à suivre les pas de son célèbre père tant de fois acclamé, deus ex, Human revolution propose, tout comme Bioschok ou Half life en leur temps, une belle et grande aventure interactive avec ses propres qualités narratives. Il se doit donc d’être vu comme un titre à part entière s’émancipant à sa manière de sa filiation paternelle sans pour autant ne jamais la renier ; au final, peu importe que cette magie soit retrouvée ou non, car Human Revolution possède suffisamment de qualités pour sortir la tête haute, de l’ombre de son illustre ainé.

L'une de vos augmentations vous permet de briser
les murs façon Rutger Hauer dans Blade Runner.
Dieu de l'ombre ou machina tuer ?

  Comme promis un certain nombre d’éléments du premier deus ex viennent en effet bonifier l’expérience de Human revolution. A commencer par le gameplay hybride qui avait fait la réputation de la série. A de nombreux égards, le titre d'Eidos Montréal peut être considéré comme un jeu d’infiltration à part entière – certains moments, il est difficile de ne pas penser à Metal gear solid - pour peu que vous ne choisissiez cette voie. Il est même plutôt indispensable de rester très discret durant une bonne dizaine d’heures de jeu avant de pouvoir commencer à faire parler la poudre. Le titre est en effet assez pointilleux sur la difficulté et les ennemis, pourtant dotés d’une I.A pas toujours au top, bougent rapidement et visent juste. Il ne faudra parfois qu’une ou deux balles de la part de ces derniers pour vous faire mordre la poussière. Il n’est donc pas vraiment permis de foncer comme un bourrin, du moins au début du jeu. Car une fois les kits de dynamisations obtenu et quelques augmentations en plus, il vous sera plus aisé d’aller chercher un peu d’action comme dans tout bon FPS qui se respecte. Les augmentations en question sont d’ailleurs plutôt bien pensées, que ce soit pour l’action ou l’infiltration, et pour la plupart plaisantes à utiliser. Si certaines font toutefois office de gadget, d’autres sont nécessaires et vous permettent de prendre petit à petit le dessus sur vos assaillants.
A ce propos si durant la première moitié du jeu il est primordial de rester discret, une fois vos augmentations bien choisies, les ennemis, mis à part quelques exceptions, ne vous poseront plus trop de problèmes. Du coup l’aspect infiltration ne s’impose plus vraiment de lui-même et, à moins de jouer le jeu de son plein gré, il sera souvent tentant de foncer dans le tas sans trop avoir à s’inquiéter pour sa vie. Il est donc conseillé de passer en difficulté « Deus ex » à ce moment - l’option de difficulté peut être changée à tout moment - afin de rétablir l’équilibre.

  Ceci fait, il restera toujours les boss à affronter et qui pour le coup, s’avèrent plutôt coriace à éliminer. Il faudra en général à ces derniers qu’une seule attaque bien placée pour vous anéantir et vous renvoyer au dernier point de sauvegarde. Si l’on aurait pu craindre que ces passages soient dénués d’intérêt dans un jeu comme deus ex, il n’en est rien. Il faudra un minimum de dextérité et de stratégie pour parvenir à bout de ces derniers mais surtout, la rapidité de votre victoire dépendra largement des augmentations que vous aurez privilégiées auparavant. Il est donc plus que judicieux de garder quelques kits de dynamisation de côté afin d’entamer les boss avec les bonnes augmentations.
En outre, ceux-ci sont pour certains assez charismatiques mais malheureusement trop sous exploités. Peut présent sur le devant de la scène, ils sont vite expédiés aux oubliettes une fois éliminés. En revanche les arènes dans lesquels Jensen les affronte sont plutôt bien pensées et plutôt originales dans leurs styles.

Le Background du jeu est d'une rare finesse.
Tous les chemins mènent à...

L’une des grandes force de ce Deus ex et qui avait fait toute la réputation du premier titre, est bien évidemment la grande qualité de son level design permettant d’aborder vos objectifs de multiples façons. Là où Deus ex, Invisible War avait fait l’erreur de trop limiter les options du joueur pour mener à bien ses missions, Human Revolution permet d’appréhender les niveaux de biens différentes façons. Les complexes et les villes qu’il faudra parcourir sont admirablement bien construits et offrent un certain nombre de chemins tous plus différents les uns des autres. Attention il ne s’agit pas d’emprunter soit le couloir de gauche, soit le couloir de droite ou bien l’échelle de secoure quelques mètres plus loin pour atteindre l’objectif. Bien au contraire, les différents passages qu’il est possible de trouver sont intégrés subtilement aux niveaux tout en respectant avec cohérence l’architecture des différents décors du jeu.      

Il faut donc parfois être très observateur pour déceler un conduit d’aération bien caché ou un petit passage à priori impraticable. Certains d'entre eux seront parfois uniquement accessibles que si vous disposez des augmentations adéquates pour les emprunter. Une échelle est hors de votre portée ? Aucun problème si vous disposez de suffisamment de force pour y placer en dessous une caisse vous permettant de l’atteindre, à moins que vous n'ayez tout simplement opté pour sauter quelques mètres plus hauts que la normale. Quelqu’un vous empêche d’accéder à un endroit particulier ? Qu’à ne cela ne tienne, utilisez votre augmentation d’amplification sociale pour le convaincre de vous laisser passer !
Les augmentations sont suffisamment variées et les choix d'itinéraires suffisamment nombreux, pour vous donner l’illusion de ne jamais faire les mêmes choses ou d’emprunter les mêmes chemins. Suivant les augmentations que vous aurez choisies, certains passages s’imposeront bien sûr d’eux-mêmes comme étant les plus appropriés à votre approche de jeu. Toutefois si vous disposez de beaucoup d’augmentation et que vous vous sentez l’âme d’un explorateur, rien ne vous empêche de tous les parcourir et de voir où ils vous mènent. Human révolution contient de nombreux endroits à explorer et vous auriez sûrement tors de ne pas y jeter un œil, ne serait-ce que pour y admirer la pâte artistique et les petits détails dans chaque recoin du décor ajoutant un plus non négligeable à l’ambiance du jeu !

Se faire augmenter demande au préalable de faire quelques
"petits" sacrifices corporels. Pas toujours à son insu.
  Le background est extrêmement riche et bien fourni, les développeurs ont abattu un travail conséquent sur celui-ci comme en témoignent les nombreux mails, radios, infos télévisées ou encore carnet électronique que vous pourrez trouver en prenant la peine de les chercher. Ceux-ci fournissent des informations détaillées et pertinentes sur l’univers du monde dans lequel on évolue. La direction artistique couplée à l’imagination du joueur stimulée par tous ces éléments d’informations, l’emporte d’ailleurs largement sur le reste et ceux malgré des graphismes assez inégaux, voire parfois désuets, selon certains passages. Le soin apporté sur le background et l’esthétique générale du jeu, est incontestablement l’un des points forts du titre. Peu de jeu peuvent se targuer de bénéficier d’un univers aussi riche et réaliste que celui de ce deus ex.
  De surcroit, prendre le temps d’explorer les environs est idéal pour faire des rencontres impromptues. Car c’est par l’intermédiaire de certains PNJ, pas toujours évidents à trouver, qu’il est possible d’accéder aux quêtes secondaires disséminées dans le jeu. Bien qu’elles ne soient pas excessivement nombreuses, elles ont en revanche le mérite d’être intéressantes à réaliser. Eidos Montréal s’est efforcé de ne pas offrir au joueur d’innombrable quête secondaire peu gratifiante et inintéressante pour le joueur mais au contraire, a essayé au mieux de les mettre en relation avec la trame principale. Mieux encore, celles-ci sont parfaitement intégrées dans l’univers et exploitent pleinement tout le potentiel du level design.

Vers une nouvelle ère.

  Enfin, certains regretteront peut être le « peu » de liens qui unissent ce troisième chapitre au premier deus ex, ainsi que leur relative discrétion; liens qui ne se révéleront qu’aux plus fins observateurs et fans du premier volet ( ne coupez pas les crédits ! ). Néanmoins, il ne faut pas oublier que Human revolution se déroule à quelque 25 années d’écart du premier volet et, à la base, ne pose pas vraiment les ambitions de faire office de pure préquelle au premier titre de Ion Storm. Au contraire ce deus ex préfère s’éloigner dans le temps comme pour mieux se détacher de l’intrigue déjà riche et complexe du premier volet; mettant ainsi en scène ses propres enjeux scénaristiques qui conduiront petit à petit à l’univers des deux autres jeux. Un choix qui paraît tout à fait justifié dans la mesure où, vouloir trop coller à la trame scénaristique du premier volet aurait sûrement troublé les nouveaux joueurs découvrant la franchise avec cet opus et aurait pu fortement perturber l’identité propre de ce Human révolution. Il était important pour Edios Montréal de reprendre ce qui avait fait le succès du premier volet tout en s’éloignant le plus possible de l’influence de son aura qui aurait pu lui coûter préjudice. Eidos n’a pas fait l’erreur de se contenter d’un simple copier coller transfiguré qui aurait été purement inintéressant et d’autant plus dangereux, car il n’aurait fait que conforter l’idée pour beaucoup, de vouloir le comparer à Deus ex. Il faut donc prendre ce Deus ex 3 comme un épisode beaucoup plus à part que fédérateur vis-à-vis de ses aînés.
  L’intrigue de cet opus à d’ailleurs largement de quoi occuper le joueur pour lui faire oublier celle des deux premiers opus. Complot, rebondissement, questions d’éthiques, valeurs humaines, le scénario de ce deus ex - à défaut d’être aussi passionnant que ceux des films tels que Blade Runner ou encore Ghost in the shell pour ne citer que ceux-là et auxquels le jeu fait directement référence par certains de ses thèmes ou de son ambiance - reste très réfléchis et regardants vis-à-vis de l’évolution de notre espèce et notamment de l’impact des progrès technologiques aussi bien sur l’homme que sur la nature.

Renaissance ou destruction ?
A vouloir jouer à Dieu on finit tôt ou tard par se brûler les ailes...

  S’obstiner à vouloir comparer sur tous les plans ce human revolution à deus ex premier du nom serait une erreur. Même si la tentation est grande et la chose facile, les deux opus bien que similaires sur la forme, restent très différents sur le fond. Edios Montréal a pris pendant quatre années la peine de comprendre et de reprendre avec succès un certain nombre d’éléments clefs qui ont fait du premier deus ex un véritable chef-d’œuvre mais a surtout réussi l’exploit de se créer une identité visuelle et scénaristique propre. Et même si l’on regrettera la « magie » du scénario évolutif et malléable qui donnait tout son charme au premier opus, le jeu parvient à faire toujours en sorte que le joueur se sente parfaitement intégré à l’univers et suffisamment impliqué par l’histoire pour faire oublier cet écueil. Jouer à Deus ex, Human revolution, c’est faire le gage de ne ne pas lâcher sa manette durant des heures de jeu et de vivre une expérience vidéoludique de très grande qualité. De nos jours, c’est déjà en soi une petite révolution.