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mardi 16 août 2011

L.A Noire (partie 2)



L.A Noire montre qu’il est possible pour un jeu vidéo de se doter d’un aspect cinématographique de qualité tout en démontrant que l’avenir du média ne repose pas uniquement que sur des qualités graphiques ou des mécaniques de jeux bien huilées. Deux ans après la réussite d’Heavy rain, c’est au tour de L.A Noire de montrer ce dont il est capable de faire en terme de narration et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il n’y va pas de main morte !


(Attention SPOILER ! Ce qui suit révèle des éléments clef de l'intrigue, à lire seulement après avoir fini le jeu)


A Star is born
                
  Si dans le fond l’intrigue principale reste assez simple, c’est la façon dont elle est racontée qui s’avère plus ou moins complexe. En effet celle-ci ne se dévoile que peu à peu et au fur et à mesure que les cas s’enchainent et se résolvent. Si au début on en comprend pas très bien ou veulent nous mener certaines cinématiques et  informations qui sont disséminées de part et d’autre, elles prennent tout leur sens que vers la fin du jeu où les pièces du puzzle commencent à s’emboîter.

Car voilà, entièrement fidèle au genre du film noir, le titre de Team Bondi joue le plus souvent sur le mystère et il est difficile de bien cerner les enjeux principaux de l'histoire. Mis à part les délits qu’il est possible de faire en parallèle et qui n’ont rien à voir avec l’intrigue principale, certaines enquêtes donnent l’impression de ne pas vraiment révéler la nature de l’histoire principale et encore moins de la faire avancer. Elles sont pourtant cruciales dans la mesure où celles-ci permettent bien évidemment d’introduire certains personnages et informations clefs de l’histoire. Ces dernières sont tout aussi importantes, car elles permettent de mieux cerner le personnage de Cole Phelps et d’en apprendre un peu plus sur son passé de héros de guerre notamment au travers des cinématiques entrecoupant les enquêtes. Le joueur doit donc faire l’effort d’être rigoureusement attentif en relevant les informations qui lui sont destinées tout en les mettant de côté afin de pouvoir plus tard les rassembler et mieux comprendre les enjeux de l’intrigue.

En outre, Les développeurs ont pris un parti pris plutôt intéressant et d’autant plus rare dans le domaine du jeu vidéo qu’il est alors bon de le souligner : Plus que l’importance d’une histoire au scénario bien ficelé, c’est finalement l’histoire des personnages elle-même qui prime sur le reste et qui, au final, va donner tout son sens à l’intrigue en substance.

  Team Bondi à donc fait le pari de privilégier l’évolution de son personnage principal durant la grande partie du jeu pour ne laisser qu’une petite place à la trame principale ne se dévoilant que progressivement vers la fin du jeu. Au commencement, Cole n’est qu’un simple agent de la circulation qui va très vite monter les échelons jusqu'à devenir un inspecteur réputé et reconnu au sein de la police de L.A. Cette partie des péripéties occupe bien un peu plus de la moitié du jeu, durant laquelle, il faut le reconnaître, il est parfois difficile pour le joueur de s’y retrouver, perdu au milieu de toutes ces enquêtes aux aspects très sériels et s’enchainant les unes après les autres. Ces enquêtes, aussi plaisantes soient-elles à jouer, notamment grâce au motion scan qui fait des merveilles, ne font pourtant pas vraiment avancer l’intrigue principale. Le joueur peut donc se retrouver avec la désagréable sensation de ne pas savoir vers où il avance et dans quel but il accomplit toutes ces enquêtes, se retrouvant avec pour seule récompense, le prestige de les avoir résolues.

Un parti pris assez particulier qui consiste en fait à présenter au joueur, à la manière des séries télévisuelles actuelles qui reposent sur des principes d’hybridités sérielles. On donne au téléspectateur des épisodes avec leur propre intrigue bouclée dans lesquels s'y dévoile quelques éléments scénaristiques permettant de donner petit à petit naissance à une intrigue primaire s’étendant sur plusieurs épisodes ou parfois une saison entière. Dans le cas de L.A noire, un épisode correspondrait donc à une enquête menée par Cole Phelps et ses coéquipiers durant laquelle des éléments scénaristiques vont peu à peu se dévoiler et construire une intrigue primaire. Seulement le problème, c’est que ces éléments se font souvent plutôt rares et ne dévoilent que très peu d’information sur l’intrigue à venir faisant à force basculer quelques enquêtes, un peu moins passionnantes que d'autres et déjà un poil répétitives dans leurs processus, dans une certaine banalité. La banalité du quotidien d’un flic de l’époque certes, mais banalité tout de même pour le joueur qui, du coup, va chercher un peu d’action dans les délits secondaires qu'il est possible d'accomplir entre deux enquêtes ; et ça tombe bien, ils ne sont là que pour ça.

                

Ce grand et lent étalement de la narration peut être risqué dans la mesure où, aujourd'hui, un jeu vidéo doit d'une manière ou d'une autre retenir constamment l'attention du joueur pour ne pas le laisser face à l'ennui ou la répétition. Dans la mesure ou L.A Noire propose des intrigues bouclées et une intrigue primaire latente, les enquêtes se doivent donc d'être capables de proposer une intrigue suffisamment forte et différente de la précédente pour retenir toute l'attention du joueur à défaut de pouvoir jouer sur un suspens gagnant peu à peu en puissance. Ce manque de suspens, couplé à la narration très progressive du jeu, à d'ailleurs le désavantage de donner parfois l’impression de jouer à une succession d’add-on présentant à chaque fois une nouvelle intrigue dans laquelle on aurait disséminé quelques informations venant éclaircir certains points noirs de l’intrigue principale.

A titre d’exemple, cette impression s’en ressent fortement au milieu du titre lors de l’enquête sur le Dalhia noir qui paraît beaucoup trop détachée du reste de l’intrigue principale, ce qui en soit n’est pas un mal car elle reste assez captivante dans ses débuts, mais, en revanche, devient problématique lorsque celle-ci dure trop longtemps et s’avère surtout assez répétitive. Une répétition qui trouve son origine à la base même de l’intrigue voulant qu’un tueur énigmatique imite le mode opératoire du célèbre tueur du roman de James Ellroy. 

Le tueur, plus intelligent que la moyenne, s’arrange à chaque fois pour faire inculper un innocent à sa place en laissant le plus souvent l’arme du crime chez ce dernier. Par conséquent, Cole, qui bien conscient tout comme le joueur qu’il ne s’agit pas à chaque fois du vrai assassin, n’a, faute de preuve, pas d’autres choix que d’inculper un innocent. Cette partie du jeu devient alors vite répétitive et frustrante pour le joueur, d’autant plus que l’affaire se termine de façon dès plus énigmatique. Mais comme tout bon film noir, L.A noire garde sa part de mystère et on ne peut pas lui reprocher d’aller dans ce sens. 

Toutefois si l’intrigue primaire tarde à se révéler, les choses commencent à devenir nettement plus intéressantes lorsque Cole entre à la brigade des Mœurs. C’est véritablement à partir de ce moment, soit un peu près à un peu plus de la moitié du jeu tout de même, que l’intrigue principale commence à capter toute notre attention et fait monter le suspens. La troisième et dernière partie du jeu est clairement la plus réussie et de loin, la plus rythmée du jeu ; au point que l’on finit par se demander si l’on a bien affaire au même conteur d’histoire, Rockstar y serait-il pour quelque chose ?


Retour en enfer

               
  Alors que Cole pense avoir une piste sérieuse sur tous ces mystérieux incendies criminels, son enquête le conduit vers une grosse société immobilière, Elysian field. La société est dirigée par une sorte de magnat de l’immobilier à Los Angeles, Leland Monroe, aux contacts hauts placés.
C’est lors de cette partie du jeu que les mystères entourant les personnages et notamment celui  de Cole commencent enfin à se dévoiler. Celui-ci tout comme de nombreuses stars de cinéma de l’époque est monté très vite vers le succès et va connaître une chute encore plus rapide. Alors que ce dernier s’efforce à vouloir rendre le monde meilleur comme il l’explique lui-même, il finit par se rendre compte que cela est impossible sans faire de sacrifice et que tôt ou tard il faut toujours en payer le prix. En bonne figure du héros tragique, Cole se lance dans cette quête plus ou moins absurde espérant pouvoir se racheter et effacer ses erreurs. 

Le personnage de Cole Phelps se révèle en fait bien plus ambigu qu’il n’y parait au premier abord. Derrière le héros de guerre et le brillant inspecteur de police se cache en fait une tout autre personnalité : un homme perfectible au succès bafoué par les erreurs, rongé par la culpabilité et les remords. S’il ne le montre pas, la guerre a pourtant eu comme pour beaucoup d’autres, un effet plus que traumatisant sur lui et le seul réconfort qu’il va pouvoir trouver n’est plus auprès de sa femme et de sa famille mais auprès d’Elsa, la chanteuse de jazz. Cette dernière, elle même tourmentée par des problèmes de drogue, est véritablement la seule personne  à pouvoir le comprendre et sur qui il pourra compter.
Cole observe t-il son suspect ou bien son propre reflet ?

Mais alors que Cole pensait enfin avoir trouvé un peu de répit, celui-ci va vite se rendre compte qu’il  ne peut échapper à son funeste destin. Son adultère  révélé au grand jour, il se voit immédiatement rétrogradé. Puis, ce sont ensuite sa femme et ses enfants qui le quittent. Cole Phelps est sur la pente raide, mais il veut monter qu’il est encore capable d’aller jusqu’au bout de cette affaire. Plus que jamais aveuglé par son éternel désir de bien faire, il inculpe l’innocent de trop. Son supérieur le met alors sur la touche et Cole ne peut mener à bien son enquête.
                
C’est a ce moment précis que va intervenir le personnage de jack Kelso, ce qui nous fait pressentir vers la fin du jeu que finalement Cole n’est pas le véritable héros de l’histoire ou tout du moins qu’il n’est que la moitié du héros de celle-ci. En effet, L.A Noire ne met pas en scène un, mais bien deux héros aux caractéristiques diamétralement opposées, mais pourtant complémentaires. Kelso et Phelps sont les archétypes mêmes du héros du film noir et réunissent à eux deux toutes les caractéristiques qui le composent. Le ton est d’ailleurs donné dés le début du jeu par la voix off : Jack et Cole sont deux hommes aux conceptions des choses totalement différentes mais faisant équipe depuis toujours. Kelso préfère agir instinctivement alors que Phelps, très attaché aux codes, préfère réfléchir et observer avant de passer à l’action.
Kelso à toujours été dans l’ombre de Cole Phelps récoltant les lauriers, d’abord à la guerre puis ensuite lors de leur carrière de Policier. Cole va très vite monter les échelons et devient la vedette de la lutte anti crime alors que Jack ne devient  "qu’un" modeste inspecteur pour le compte d’une agence d’assurance s’occupant des incendies.

Alors qu’il est présenté comme un personnage important au début du jeu, Kelso est largement effacé de l’histoire au profit de Cole et de son évolution au sein de la police. Si bien qu’on aurait presque oublié que son personnage existait dans le jeu. Néanmoins, cela permet de réintégrer ce dernier dans l’intrigue en cours, de manière beaucoup plus forte et d’une façon pour le moins inattendue puisque c’est ce dernier qui devient jouable à la place de Cole et ce, pratiquement exclusivement jusqu’à la fin du jeu.

Jack Kelso, ( Gil Mckinney).
C’est donc un excellent retournement de situation que nous offrent les développeurs en inversant complètement les rôles vers la fin du jeu. Un choix d’autant plus justifié, car il est intégré de manière tout à fait cohérente à l’histoire. Ce n’est pas un hasard si l'on contrôle Kelso à la place de Phelps pour mener à bien cette dernière enquête. Ce dernier a toujours été celui capable d’aller jusqu’au bout de ses actions et d’en assumer les conséquences. Chose que n’a jamais pu ou su faire Cole qui lorsqu’il réalise qu’il vient de brûler vif des enfants dans cette grotte à Sugar Loaf est prit d’un malaise foudroyant. Ne trouvant pas  la force d'assumer ses actes, Kelso est donc obligé de prendre les choses en mains, il redresse la situation et ordonne de condamner la grotte. Par conséquent, lorsque Cole sera mis sur la touche par son supérieur, c’est donc encore une fois Jack qui prendra le relais en employant la manière forte et qui mettra fin au complot de l’intrigue principale.

Cole Phelps quand à lui, sera confronté directement à ses erreurs du passé matérialisées par Iva le vétéran pyromane. C’est ce dernier qui avait reçu l’ordre émanant de Cole de brûler cette grotte et qui face à l’ampleur du désastre et à l’horreur des corps d’innocents calcinés, sombra par la suite dans la folie. Cole comprend alors à ce moment précis qu’il à fait bien pire que de commettre une grave erreur coûtant la vie à des victimes innocentes ce jour-là, il à aussi crée un monstre, son monstre et non pas celui du docteur Fontaine comme il le pense. Il réalise qu’il à aussi sur les mains le sang des familles brûlées vives dans leurs maisons par Iva. Face à cette effroyable découverte, Cole, ne pouvant être jugé que par lui même, n’a d’autre choix que de se sacrifier pour expier ses fautes et se laisse emporter par les eaux comme pour être lavé de tout soupçon. Éloigné de tout trouble, il termine son périple dans les eaux calmes, la conscience désormais apaisée, il peut enfin retrouver la paix intérieure.


  Si L.A noire aurait sûrement largement gagné à faire démarrer son intrigue principale beaucoup plus tôt, celle-ci n’en reste pas moins réussie et se révèle admirablement bien scriptée. Tout comme heavy rain avant lui mais d’une façon bien différente, le titre de Team Bondi et de Rockstar donne un bel aperçu de ce que le jeu vidéo est capable d’apporter en terme de narration prouvant qu’il est possible d’offrir aux joueurs une histoire mature et travaillée. Mais surtout il montre que le média est capable de créer, de faire vivre et de faire évoluer des personnages fascinants et complexes. Enfin, L.A noire rend par la même occasion,  un bel hommage à un genre cinématographique se faisant bien trop rare aujourd’hui.

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