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mardi 16 août 2011

Les films noirs et L.A Noire




Les origines

Pour la première fois dans le monde du jeu vidéo, L.A Noire rend un hommage direct à un genre cinématographique très populaire des années 40 et 50 : Le film Noir.  Pour mieux comprendre les nombreuses références du jeu et éclaircir certains points du scénario, faisons un petit retour en arrière sur la genèse d’un genre très particulier du cinéma Hollywoodien.

(Attention SPOILER ! Ce qui suit révèle des éléments clef de l'intrigue, à lire seulement après avoir fini le jeu)
             
  Avant d’être employé et généralisé pour qualifier les films Américains du genre les plus connus, le terme film noir à d’abord été inventé par la critique Française pour qualifier l’extrême noirceur de certains films Français célèbres des années 30 tel que Quai des brumes, la chienne ou encore la Bête humaine. Films qui pour la plus part feront plus tard l’objet de remakes Américains et deviendront des classiques du film noir comme le film Scarlet street de Fritz Lang qui n’est autre que le remake de la Chienne de Jean Renoir.

Le film Quai des brumes de Marcel Carné met en scène des personnages ambigu
et une atmosphère très sombre.
En fait, les critiques et cinéastes Américains de l’époque n’avaient jamais employé ou même évoqué le terme de film noir, on parlait plutôt de Crime drama Picture pour qualifier les films de ce genre. Le terme film noir sera véritablement repris par les Américains à la suite de la parution d’un article d’une critique française, Nina Franet, l’utilisant pour qualifier l’atmosphère sombre et désespérée d’un classique du film noir : Le faucon malté.
Le faucon Malté, un classique du genre.
Il  est assez difficile d’expliquer les origines d’un genre cinématographique puisqu’un grand nombre de  facteurs historiques et socioculturels peuvent entrer en jeu et se confronter. Néanmoins il est possible de regrouper un certains nombres de facteurs différents puis de les combiner afin de mieux comprendre l’apparition du genre.

L’apparition du film noir exprime dans un premier temps un certain pessimisme et un sentiment d’impuissance qui coïncide avec l’érosion de l’idéologie de l’unité national caractérisé par la guerre. Après la seconde guerre mondiale, la population américaine fait face à une crise existentielle : Le statut social des hommes et des femmes s’inverse,  un désarroi populaire s’empare de la nation dans laquelle les doutes, les angoisses et les culpabilités s’installent progressivement. D’une certaine manière, les films noirs cristallisent ces angoisses en les ré insufflant dans les personnages principaux qui animent leurs histoires.

En outre, il existerait trois raisons essentielles expliquant l’apparition du genre cinématographique. Les films noirs tireraient d’abord certaines de leurs caractéristiques propres de l’esthétique et des thématiques du cinéma ainsi que de la culture Germanique de l’époque. En effet, l’aspect très sombre et contrasté de l’image de beaucoup de film noir n’est pas sans rappeler l’identité visuelle de certains films expressionnistes. De plus, il est souvent question dans un certains nombres de films Allemands du traitement de l’échange identitaire et récurent dans bon nombre de film noir tel que l’usurpation d’identité. Un des exemples les plus célèbre se trouve dans le film Détour dans lequel le protagoniste principal se voit contraint, bien malgré lui, de se faire passer pour un autre afin de ne pas être soupçonné de meurtre.
Le cabinet du docteur Caligari, l'influence des films expressionnistes Allemand
sur l'esthétique des films noirs.
L’émergence du film noir s’explique aussi à travers  la programmation  des films B qui pouvaient précéder les films classiques, dit de série A, projetés dans les salles. Les films de série B étaient relativement court et disposaient d’un budget très restreint en comparaison avec les films classiques. Ces films de série  B pouvaient s’apparenter plus ou moins aux débuts du film noir en proposant une alternative idéologique aux films de série A, mettant en scène des personnages à forte duplicité et une ambiguïté morale propre au caractère réaliste et souvent pessimiste du film noir.

Enfin il faut retenir l’émergence des scénaristes à Hollywood dans les années 30 qui adaptent en masse les scriptes d’histoires de roman à succès parmi lesquels bon nombre sont issus d’auteur célèbre de Pulp fiction tel que James Cain ou encore Raymond Chandler. Ces romans Hard-Boiled comme on les appels à l’époque, comportent déjà un certains nombres des caractéristiques essentiels du film noir à savoir, une intrigue tortueuse, un ton pessimiste, des personnages ambigu et une atmosphère plutôt froide et sombre.

Des histoires complexes

L.A film Noir 

  L.A noire ne se contente pas de rendre hommage au genre du film noir que par son titre mais Il respecte aussi  de façon fidèle les codes esthétiques et narratifs du genre.
La structure narrative des films noirs se voulait en général innovantes pour l’époque et jouait sur un renouvellement des formes conventionnelles de la narration hollywoodienne classique. On avait souvent affaire à des structures labyrinthiques avec l’idée de mettre en scène un monde désordonné. Le scénario quand à lui se voulait assez tortueux, l’intrigue d’un film noir avait souvent la réputation d’être difficile à comprendre voir impossible dans le cas de certains films. Le cas le plus célèbre étant le film d’Howard Hawks, Le grand sommeil, qui de part la complexité de son intrigue et de son final dès plus mystérieux, c’était coller sur le dos l’étiquette de film incompréhensible.

Le grand sommeil, un film qui restera un mystère tout entier.

Si l’intrigue d’un film noir pouvait paraître complexe au premier abord, c’est en partie parce qu’elle était racontée d’une manière qui différait bien souvent de celles des films classiques Hollywoodiens. Si le déroulement de l’intrigue de L.A Noire ne se veut pas aussi complexe que celle d’un film comme le grand sommeil, elle reste néanmoins assez floue pendant une bonne partie du jeu. Le récit du film noir se veut généralement rétrospectif : Le héro est seul, enfermé dans une fatalité tragique qui fait souvent évocation aux flash-back rappelant le lourd poids du passé dont  il ne peut se détacher.
Dans L.A Noir il est justement question du poids du passé qui pèse inlassablement sur les épaules de Cole Phelps. Ses souvenirs de guerre ainsi que ses erreurs le hantent et apparaissent au joueur sous forme de flash-back. Ces retours en arrières sont importants pour comprendre les enjeux de l’intrigue et permettent petit à petit de mieux cerner les personnalités de Cole et de Jack ainsi que l’origine de leur relation conflictuelle.

Les journaux introduisent des cinématiques
apportant des infos intéressantes sur l'intrigue.
Bien que le récit du film noir soit complexe dans son organisation, assez paradoxalement l’intrigue cherchait généralement à placer le spectateur en observateur idéal de l’action. Des informations clefs étaient délivrées, parfois, au travers de nombreux points de vue différents et pas seulement au travers de celui du héros. Ce « privilège » d’observateur idéal est intégré de façon très cohérente à l’univers du jeu via les journaux qu’il est possible de trouver un peu partout dans la ville. Grâce à eux le joueur est tenu au courant des gros titres qui ont justement un lien direct ou indirect avec l’intrigue en cours ou à venir.

Autre élément récurent : L’utilisation de plan subjectif permettant de renforcer notamment l’impression d’identification du spectateur au personnage principal. Avec L.A Noire, le joueur, par la nature même du média, est placé au premier plan de l’histoire puisque c’est lui qui contrôle le personnage et ses actions. Bien que le jeu soit majoritairement pratiqué en vue à la troisième personne, la subjectivité est toutefois renforcée lorsque celui-ci inspecte un cadavre, recherche des objets ou consulte son carnet de note. Ces vues subjectives ont pour effet de renforcer l’impression de réalisme du jeu mais surtout de l’impliquer au plus prés des actions du personnage principal.

Outre les flashs back et les plans subjectifs, la voix off était aussi très souvent utilisée pour donner un point de vue extérieur au récit. Un point de vue étant par ailleurs subjectif et qui orientait ainsi le récit vers la confession, l’information ou l’investigation en cours. L.A Noire ne fait pas figure d’exception dans l’utilisation de ce procédé narratif, le jeu s’ouvre sur des images de la ville accompagnées d’une voix off apportant des éléments d’informations au joueur sur les lieux de l’action et sur les caractères respectifs de Cole et de Jack.

Une esthétique particulière 

Noir, c’est noir !

  L’une des caractéristiques essentielles du film noir reste bien sur son style esthétique à la fois sombre et épuré. Dans une certaine lignée de l’expressionnisme Allemand, les couleurs du film noir se voulaient fortement contrastées jouant sur le clair-obscur. Les éclairages Low cost utilisés sur beaucoup des plateaux de tournages d’un film noir, ne permettant pas d’éclairer toute la scène, laissaient dégager une ambiance particulièrement noire. Il est intéressant de remarquer que L.A noire, étrangement, ne joue pas énormément sur cet aspect visuel froid et sombre propre aux films du genre. En effet une grande partie des investigations ont lieu pour la plus part  le jour et en pleine ville ne  laissant que très peu place aux scènes privilégiant les intérieurs sombres et les actions se déroulant de nuit. Bien évidemment certains passage du jeu restent très influencés par l’esthétique du genre notamment vers la fin du jeu où l’intrigue devient plus rythmée et se veut plus pressante, l’ambiance se fait alors plus pesante : Scènes de nuit, pluie battante et musique aux accents inquiétants.

Los Angeles : Cité des rêves et des vices

L.A, capitale du film noir.
  Le film noir s’intéresse à la ville pour sa modernité inquiétante, son rapport au monde nouveau et ses innombrables activités économiques, politiques et culturelles. La ville est une source d’inspiration pour le film  noir aussi bien pour sa mise en scène que pour son intrigue.  L’environnement urbain est  avec l’esthétique froide et sombre, l’élément  capital voir quasiment indispensable de tout bon film noir. Et quoi de mieux qu’une ville comme Los Angeles avec un environnement urbain aussi complexe que varié pour construire une histoire puisant en grande partie toute la force de sa narration dans le lieu dans laquelle elle se déroule.
La ville de Los Angeles est dans de nombreux film noir le lieu principal dans lequel va se dérouler l’intrigue. Assurance sur la mort, L.A confidentiel, En quatrième vitesse, taxi driver ou même le film futuriste Blade Runner,  ont tous pour point commun la ville de Los Angeles. Les années 50 sont synonyme d’intenses bouleversements économiques et socials pour la cité des anges : Désindustrialisation, Expansion Urbaine et recomposition ethnique refaçonnent petit à petit la ville. Mais Los Angeles c’est avant tout Hollywood, une ville dans la ville, une capitale du cinéma  Américain et bientôt un siège pour l’industrie cinématographique mondial.
Blade Runner, chef d'oeuvre de la science fiction et du film noir.
Avec une industrie qui brasse autant d’argent, le vice n’est jamais très loin. Peu de temps après la fin de la seconde guerre mondiale, Los Angeles voit son taux de criminalité grimper en flèche. Ce n’est donc pas un hasard si Les intrigues de beaucoup de film noir et donc de L.A noire ont lieu au sein de cette fameuse ville.  Le crime y étant foisonnant,  autant dire qu’Il n’y avait de meilleur endroit sur terre pour y gagner sa vie en tant que détective et que la police n’avait pas vraiment le temps de chaumer. C’est d’ailleurs le moins que l’on puisse dire en jouant à L.A Noire aux vues des nombreuses enquêtes et délits que Cole Phelps devra élucider. Règlement de compte, vol a la tire, braquages en tout genre, trafique de drogue et bien sur meurtres, le jeu passe en revue à peu près tout les crimes qui couraient les rues de L.A et qui animaient le quotidien d’un policier ou d’un détective à l’affût du moindre mystère.

Les personnages archétypes du genre

Un héros aux multiples facettes

Contrairement aux films Hollywoodiens classiques, le personnage central du film noir tient plutôt de l’anti-héros que du héros. Il est possible de distinguer deux grands archétypes de la figure centrale du film noir, la première et la plus connue est celle du détective.  

La figure du détective pouvait être marquée par une forme de duplicité plus ou moins prononcée. Ni bon ni mauvais il représente la figure de l’homme plutôt séducteur, froid, distant, parfois brutal et capable d’une certaine forme de cruauté. Le détective devient rapidement une figure pertinente dans le climat de perte des repaires d’après guerre. C’est un personnage qui, par sa noirceur, apporte de la dureté au film et séduit autant les femmes que les hommes, ces derniers pouvant s’identifier à lui afin d’occulter cette crise de la masculinité. Dans le faucon Malté, la figure du détective jouée par Humphrey Bogart regroupe toutes ces caractéristiques particulières : C’est un fin limier, un homme d’expérience séduisant, doté d’un humour noir et au positionnement moral ambigu.

La deuxième figure est celle de l’homme  ordinaire. Il s’agit d’un « monsieur tout le monde » qui devient la figure centrale du film souvent bien malgré lui suite à un événement qui va bouleverser sa vie. Ce dernier se retrouve dans une spirale infernale qui le conduit généralement vers une issue tragique. Tout comme la figure du détective, ce dernier fait preuve d’une grande duplicité et peut même être un criminel en puissance. L’idée de certains films noirs étant que n’importe quel homme ordinaire peut devenir sous le coup de la colère, de la jalousie ou de la cupidité, potentiellement un meurtrier. C’est notamment le cas du protagoniste principal, Cris Cross, dans le film Scarlet street. Celui-ci est faible, seul et plein de regrets, il commettra un meurtre par Jalousie et terminera sa vie comme un clochard errant dans les rues. Autre exemple canonique : Dans le film Détour, Al Robert devient malgré lui le principal suspect d’un meurtre qu’il n’a pas commis. Plus tard il tuera une femme en l’étranglant par inadvertance avec le cordon d’un téléphone ; tout semble joué d’avance pour Al sur qui un destin tragique semble s’acharner.

Humphrey Bogart, figure du détective par excellence.
Il est d’ailleurs question de destin tragique pour Cole Phelps dans L.A noire qui reprend un certains nombres des caractéristiques des deux figures types. Cole Phelps est une figure ambigu à tout point de vue,  il reprend a la fois la figure du détective et celle de l’homme ordinaire : Il est séduisant, plutôt brillant dans la résolution d’enquête mais c’est aussi un homme ayant commis malgré lui des crimes et qui est rongé par la culpabilité, capable de tromper sa femme et de mettre en péril sa relation familiale. Face à toutes ces erreurs, Cole doit en assumer les conséquences et c’est pourquoi un destin funeste va s’acharner sur lui.
Le châtiment est un thème omniprésent dans la période d’après guerre avec l’idée que le héros soit enfermé dans une fatalité tragique le poussant à se confronter à ses crimes. Cette fatalité tragique est notamment traduite par un isolement social du héros qui finit par se retrouver seul.  Cole perdra sa famille, l’estime de ses collègues, son travail et pour finir connaîtra une fin tragique.

Le film détour mettant en scène le personnage de Al Robert.
En outre il est intéressant de constater qu’au final  ce n’est pas Cole la vraie figure du détective du jeu mais bien son compagnon d’arme Jack Kelso qui à de nombreux égards correspond le mieux à cet archétype. Kelso est un homme direct, peu jovial et qui préfère de loin l’action à la paperasse. Contrairement à Cole, Jack passe plus de temps à agir qu’à réfléchir et n’hésite pas à employer les grands moyens pour mener à bien son enquête comme le témoigne la scène où il se lance à l’assaut de la maison de Leland Monroe. Enfin la scène  dans laquelle Elsa vient chercher l’aide de Kelso, rend directement hommage à ces scènes si chères aux films noirs dans lesquels la femme fatale sollicite l’aide du détective privé dans son bureau. C’est par ailleurs cette même scène  qui introduit Jack Kelso comme un personnage jouable et finit donc de nous convaincre qu’il est bel et bien le détective de film noir du jeu.

La femme fatale 


Pour mieux comprendre l’apparition de l’archétype de la femme fatale il faut d’abord revenir sur le contexte social de l’époque d’avant et d’après guerre.

Lors de la seconde guerre mondiale la société Américaine s’est largement remise en question. Face à l’impuissance qu'éprouve la société vis-à-vis de cette crise, les valeurs fondamentales Américaines commencent à être bouleversées. Les mœurs évoluent, les hommes traversent une crise de la masculinité  et les femmes ont de plus en plus tendance à s’émancipée. L’émergence de la figure de la  femme fatale dans le film noir  est l’une des conséquences de ces crises existentielles. Alors que beaucoup d’hommes sont appelés à s’engager à sur le front, la femme durant le conflit va devoir le plus souvent chercher un travail afin de subvenir à ses propres besoins. Le statut de la femme et de sa place dans la société va être complètement remis en question durant cette période. Lors de son retour de la guerre, l’homme  va connaître des difficultés à retrouver sa place au sein de la société et qui plus est au sein de sa propre famille. La femme va alors prendre une position dominante sur l’homme, elle devient une figure forte, capable de subvenir seule à ses besoins et de répondre à ses envies tout comme à ses objectifs personnels. Ce changement de statut va aussi s’opérer  jusque dans les films de l’époque et à plus forte raison dans les films noirs où apparaissent la figure de la femme fatale : Forte et totalement émancipée de l’homme.
La femme fatale est une des figures centrales et récurent du film noir. Elle joue généralement un rôle essentiel dans l’intrigue. Bien souvent c’est elle qui vient à la rencontre du détective lui demandant de l’aide pour mener à bien une enquête qui semble au premier abord sans réel danger mais qui va inévitablement devenir périlleuse par la suite. La femme fatale est généralement une personne manipulatrice et calculatrice n’hésitant pas à tuer pour parvenir à ses fins.

Dans  L.A Noire, Elsa, la chanteuse du Blue Jazz Room, est donc ici représentée comme la figure de la femme fatale. Elsa est une femme très séduisante, elle est chanteuse de Jazz et donc amenée à être le plus souvent au centre des regards. Bien qu’elle n’ait aucune intention de nuire à qui que ce soit, elle n’en reste pas moins l’une des causes principales des malheurs s’abattant sur beaucoup de personnages du jeu et notamment sur Cole Phelps. Ce dernier qui succombera à son charme en voulant l’aider à se sortir de son addiction, mettra en effet en péril sa carrière mais aussi sa famille en commettant l’adultère avant de connaître une fin tragique en se sacrifiant pour lui laisser la vie sauve.

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